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LES EXAGÉRÉS.

mœurs ; qu’au moyen-âge l’armure de fer, à la renaissance la plume au bonnet, sous Louis XIV le justaucorps doré, durent prêter aux actions humaines grace ou grandeur, à chacun son cachet ; mais je dis qu’aujourd’hui, en France, avec nos mœurs et nos idées, après ce que nous avons fait et détruit, avec notre horrible habit noir, il n’y a plus de possible que le simple, réduit à sa dernière expression.

Examinons un peu ceci, quelque hardie que soit cette thèse, et prévenons d’abord une objection : on peut me répondre que ce qui est beau et bon est toujours simple, et que je discute une règle éternelle ; mais je n’en crois rien. Polémon n’est pas simple, et pour ne pas sortir de la Grèce, certes, Alexandre ne fut pas simple, lorsqu’il but la drogue de Philippe, au risque de s’empoisonner. Un homme simple l’eût fait goûter au médecin. Mais Alexandre-le-Grand aimait mieux jouer sa vie, et son geste, en ce moment-là, fut beau comme un vers de Juvénal, qui n’était pas simple du tout. Le vrai seul est aimable, a dit Boileau ; le vrai ne change pas, mais sa forme change, par cela même qu’elle doit être aimable.

Or, je dis qu’aujourd’hui sa forme doit être simple, et que tout ce qui s’en écarte n’a pas le sens commun.

Faut-il vous répéter, monsieur, ce qui traîne dans nos préfaces ? Faut-il vous dire, avec nos auteurs à la mode, que nous vivons à une époque où il n’y a plus d’illusions ? Les uns en pleurent, les autres en rient ; nous ne mêlerons pas notre voix à ce concert baroque, dont la postérité se tirera comme elle pourra, si elle s’en doute. Bornons-nous à reconnaître, sans le juger, un fait incontestable, et tâchons de parler simplement à propos de simplicité : Il n’y a plus, en France, de préjugés.

Voilà un mot terrible, et qui ne plaisante guère ; et, direz-vous peut-être, qu’entendez-vous par-là ? Est-ce ne pas croire en Dieu ? Mépriser les hommes ? Est-ce, comme l’a dit quelqu’un d’un grand sens, manquer de vénération ? Qu’est-ce enfin que d’être sans préjugés ? Je ne sais ; Voltaire en avait-il ? Malgré la chanson de Béranger, si 89 est venu, c’est un peu la faute de Voltaire.

Mais Voltaire et 89 sont venus, il n’y a pas à s’en dédire. Nous n’ignorons pas que de par le monde, certaines coteries cherchent à l’oublier, et tout en prédisant l’avenir, feignent de se méprendre sur le passé. Sous prétexte de donner de l’ouvrage aux pau-