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si belles bases, et on s’en remet à la société elle-même, qui a droit que l’on compte sur elle, du soin de repousser les tentatives qu’on ferait pour la troubler. Les détenus délivrés par l’amnistie seront bientôt frappés eux-mêmes du changement qui s’est opéré en France pendant leur captivité. S’ils ne sont pas sous les mêmes préoccupations que les doctrinaires, ils s’apercevront que les idées d’ordre ont repris leur place dans tous les rangs, que les ambitions se sont régularisées, et ils ne s’étonneront pas que le ministère du 11 octobre ait fait place au ministère du 15 avril. Ce qui doit sans doute le plus les surprendre dans l’ordre social actuel, c’est, comme disait le doge de Venise à Versailles, c’est de s’y voir ; mais leur présence même prouve que la société qui les admet, est assez puissante pour les contenir dans leurs devoirs de citoyens, et qu’elle ne les reçoit que parce qu’elle les a vaincus.

Le parti s’empresse de crier à l’abandon des lois de septembre que ces indices sembleraient annoncer. Il peut se rassurer. Les lois de septembre ne seront pas abandonnées, parce qu’elles sont des lois, et parce que le ministère, qui ne fait pas de nouvelles lois politiques à chaque circonstance, a promis de conserver en vigueur celles qui existent. M. Thiers, qui a fait les lois de septembre, tout comme M. Guizot, ne se rangerait pas du côté d’un ministère créé pour l’abandon de ces lois ; M. Molé, M. de Montalivet, qui les ont votées, ne viennent pas pour les détruire ; et si les lois de septembre sont la barrière qui s’oppose aux troubles et aux désordres dans le pays, le parti doctrinaire ne doit plus se mettre en souci : ces lois seront aussi puissantes que s’il était au pouvoir pour les faire exécuter.

Ce n’est donc pas, comme il le dit, par la faiblesse et le manque d’énergie que pèche le ministère actuel. Il n’y a pas de faiblesse assurément à donner la liberté à ses ennemis et à leur dire qu’ils ne sont plus à craindre. Il n’y a pas manque d’énergie à se séparer franchement d’un parti politique qui se dit puissant, avec quelque raison peut-être, mais qu’on aime mieux combattre que de se soumettre à ses vues. Il faut renoncer à attaquer le ministère de ce côté ; et quant à l’accusation d’inhabileté, sa conduite répond suffisamment, à ce reproche. Il resterait à lui dire qu’il est sans vie et sans couleur ; mais, tandis que M. Guizot et ses amis lui niaient le mouvement, pour toute réponse il se mettait à marcher et à s’éloigner à grands pas de la doctrine. Ce ne sera pas, si vous voulez, un ministère d’éloquence et de parole ; mais on ne lui refusera pas le titre de ministère d’action, et si on ne le juge par ses discours, du moins on le jugera par ses actes. Or, ces actes, on peut déjà les compter : le renvoi des doctrinaires, l’amnistie, l’ouverture de Saint-Germain-l’Auxerrois, et le mariage de M. le duc d’Orléans. Pour un cabinet de quinze jours, on conviendra que ce n’est pas perdre son temps.