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REVUE. — CHRONIQUE.

Il est curieux d’écouter les récriminations de l’opposition doctrinaire contre le ministère de l’amnistie. D’abord, dit-elle, il était juste et moral (car le reproche d’immoralité est l’arme des doctrinaires, comme l’accusation d’impiété était celle des jésuites) de laisser à M. Guizot le mérite d’une amnistie, puisqu’on l’avait mis dans la nécessité d’assumer sur sa tête toute l’impopularité des rigueurs. Ainsi, d’après ce nouvel aveu, le système de rigueur ne serait pas le système propre de M. Guizot, et le refus constant d’amnistie ne venait pas de lui, qui s’était cependant prononcé si hautement contre cette mesure dans le conseil ! Voilà donc M. Guizot, dont toute l’ambition, dont toute l’importance consiste à être l’homme de ses idées, voilà M. Guizot qui reproche avec tant de dédain à ses adversaires et à ses successeurs de manquer de conceptions politiques, ou de n’avoir pas le courage d’exécuter le petit nombre de celles qu’ils ont ; voilà M. Guizot présenté, par ses amis eux-mêmes, comme un homme sans système, qui prête généreusement son nom et la puissance de sa parole à d’impitoyables menaces de rigueur, qu’il verrait cesser avec plaisir, si on lui permettait de faire de la clémence et de la commisération En vérité, nous n’en avons jamais tant dit contre M. Guizot ; et il aurait raison de nous en vouloir, si nous prenions la liberté de le traiter de cette sorte. Ce sont encore là des marques d’estime et de considération, telles que lui en donnaient ces mêmes amis, quand ils s’écriaient, au sujet de la dot de la reine des Belges, que M. Guizot se serait élevé de toute sa vénération pour le trône, et de tout son patriotisme, contre l’opposition de l’extrême gauche, s’il eût été ministre !

Nous pourrions citer vingt traits semblables, qui prouveraient jusqu’où peut aller l’esprit de congrégation et de coterie, car l’esprit de parti raisonne avec un peu plus de suite. Tantôt il y a au fond de cette amnistie qui cause tant de désespoir à ceux qui craignent qu’elle ne les éloigne sans retour des affaires, une grande immoralité politique. L’amnistie, aux yeux de ceux qui parlent ainsi, n’est, qu’on nous passe le mot, qu’une niche faite par les ministres actuels à l’ancien collègue de M. Molé. La clémence du roi, l’effusion de sa joie, le noble mouvement spontané d’appeler ses ministres au milieu d’une nuit et de leur proposer une mesure qui, par une rare coïncidence, lui semblait à la fois humaine et politique ; les sentimens du conseil tout entier, qui se montra heureux à son tour de ne voir dans la situation calme et paisible du pays rien qui s’opposa à ce grand acte de conciliation, tout cela est ravalé sans façon, par les amis de M. Guizot, à un tour d’écolier, à une escapade faite au savant professeur qui venait de quitter le ministère ! C’est encore là un des mille exemples du respect des doctrinaires pour le trône, dont ils prétendent ainsi relever la dignité, et de la haute et morale idée qu’ils se font du