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SITUATION DE L’ORIENT.

la Grèce, et de la séparation des principautés du Danube, mais encore par d’autres circonstances.

Les différentes nations dont se compose en Turquie le corps des rayas, Arméniens en Asie, Grecs en Asie et en Europe, Serviens, Albanais, Bulgares en Europe, ont eu sans doute beaucoup à souffrir de la conquête ottomane. Leurs progrès ont été arrêtés de mille manières, et elles sont restées dans un état d’infériorité bien marquée, relativement aux nations européennes. Cependant le joug des Turcs n’a pas été aussi pesant qu’on pourrait le croire. Les Turcs avaient laissé aux rayas une certaine liberté et le droit précieux de régler eux-mêmes leurs affaires locales par des municipalités électives. Ce droit, les rayas l’appliquaient surtout à la répartition et à la perception de l’impôt. D’ailleurs, attachés au sol, rendus, par leur condition de chrétiens, incapables de prétendre aux emplois, ne comptant que comme producteurs et contribuables dans l’état, ils trouvaient à ces désavantages une espèce de compensation dans l’exemption du service militaire. Aussi la population chrétienne n’a pas diminué, comme la population ottomane, par suite des guerres malheureuses que la Porte a soutenues depuis plus d’un siècle. Son accroissement a été, au contraire, assez sensible, tandis que la race de ses maîtres allait toujours s’affaiblissant. Quand on étudie les ressources de la Turquie, au premier abord, le chiffre de la population totale rassure un peu sur son avenir. Mais les calculs qu’on pourrait établir là-dessus, s’il s’agissait d’un état européen, ici ne sont pas applicables. Pour la défense de l’empire, dix millions de rayas ne comptent plus, et ce n’est peut-être pas assez dire.

On assure que le sultan a les yeux ouverts sur ce danger, et qu’il sent la nécessité de rapprocher les races diverses sur lesquelles s’étend son pouvoir. En 1833, une ordonnance impériale autorisa les chrétiens à entrer dans l’armée ; mais ils ne pouvaient être que soldats. Aussi un diplomate français n’en trouvait-il que neuf dans les douze ou quinze cents hommes de troupes réunis à Constantinople. Dans des circonstances qui ont un certain degré d’analogie, et en présence du danger qui préoccupe sans doute le sultan, Mehemet-Ali, qui a créé une armée arabe, commandée par des Turcs et par des Mameloucks, a du moins permis aux Arabes de s’élever jusqu’au grade de capitaine, et, grace à la vigueur de son bras,