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une négociation si délicate, et dont l’insuccès pouvait avoir les conséquences les plus graves. En se plaçant même à un point de vue moins exclusif, on devrait se demander si le succès d’une pareille entreprise serait bien désirable, si l’état actuel des choses ne garantit pas tous les intérêts en réservant tous les droits, et ce que gagnerait l’Europe à voir s’étendre sur la Syrie, par exemple, la désorganisation et la faiblesse qui neutralisent aujourd’hui les immenses ressources des plus belles contrées de la terre, la Roumélie et l’Asie mineure.

Pendant que ces idées de rapprochement et de négociation à entamer pour les faire passer dans la pratique s’agitaient à Constantinople, les difficultés et les objections que nous venons d’indiquer se présentaient aux hommes d’état, mais loin de ce grand théâtre ; et une fois remuée dans le cœur du sultan, l’espérance de regagner quelques provinces sur Mehemet-Ali ne devait plus s’y endormir, que l’épreuve n’en fût tentée. Bientôt Mehemet-Ali eut lui-même à s’en occuper, parce qu’il se crut ou feignit de se croire menacé d’une intervention européenne. En effet, de quelques ménagemens qu’on eût entouré à Constantinople ces conseils, ces ouvertures officieuses qui n’étaient pas même un commencement de négociation, Mahmoud en arriva promptement à s’imaginer que l’Angleterre et la France voulaient modifier l’état de possession réglé par la paix de Kiutayah, et se porteraient à exiger en sa faveur la rétrocession d’une partie de la Syrie. Il se faisait une juste idée de l’intérêt que ces deux puissances attachent au maintien et à la régénération de son empire ; mais il se trompait sur les moyens de parvenir à ce but, moyens dont elles jugent autrement que lui, parce qu’elles envisagent de sang-froid tout l’ensemble de sa situation. Aussi les deux cabinets ont-ils désapprouvé l’envoi d’un négociateur auprès du vice-roi d’Égypte, n’espérant aucun résultat de cette tentative hasardeuse, qui se compliquait encore d’une intrigue dans le sérail. Ce sont les manœuvres qui ont amené la disgrace du seraskier Khosrew-Pacha.

Vaguement informé de ce qui s’agitait à Constantinople, Mehemet-Ali en a prévenu l’effet avec une rare habileté ; et, en attirant la négociation auprès de lui, il a eu le double avantage de perdre un ennemi et de forcer le sultan à manifester des intentions qui justifient l’attitude conservée en Syrie par Ibrahim-Pacha. Il avait