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LE SALON DU ROI.

de Versailles soit échu à M. Fontaine, et que l’homme qui a traité avec tant d’ignorance et de brutalité l’œuvre élégante de Philibert Delorme soit appelé à statuer sur la dimension légitime des tableaux destinés à la nouvelle galerie ? En vérité, lorsqu’il s’agit de signaler, de dénoncer au tribunal de l’opinion des fautes de cette nature, l’esprit hésite et ne sait s’il doit demander pour l’architecte la honte ou le ridicule. Répondra-t-on que la liste civile possède en toute propriété la Bataille de Taillebourg ? Je doute qu’il se trouve un légiste assez complaisant pour soutenir cette thèse. La Bataille de Taillebourg appartient à la liste civile : ceci ne fait pas question ; mais le nom de M. Delacroix n’appartient pas à M. Fontaine ; il n’y a, que nous sachions, aucune loi qui donne le droit de laisser au bas d’une toile le nom d’un artiste, quel qu’il soit, obscur ou célèbre, et de rogner comme une étoffe l’œuvre signée de ce nom. Car si un pareil droit était écrit quelque part, l’intelligence serait vraiment réduite en servitude ; les œuvres de la pensée seraient traitées plus durement que les bois et les prairies. La seule propriété respectée serait la propriété qui embrasse les choses ; la propriété intellectuelle n’existerait plus. S’il est permis aujourd’hui à M. Fontaine de raccourcir ou de rétrécir la Bataille de Taillebourg, de la traiter comme un rideau ou un jupon, demain il sera permis à M. Vedel de supprimer, sans consulter M. Hugo, un acte d’Hernani ou de Marion Delorme. Pour que M. Vedel se croie autorisé à suivre l’exemple de M. Fontaine, il suffira que M. Hugo, au lieu de percevoir une quotité déterminée sur la recette du théâtre, vende son œuvre aux comédiens pour une somme une fois payée. Les libraires, à leur tour, pourront s’arroger la même autorité que MM. Fontaine et Vedel, et l’absurde n’aura bientôt plus de limites. M. Gosselin, propriétaire pendant dix ans, c’est-à-dire locataire des œuvres de M. de Lamartine, pourra, pendant toute la durée de son exploitation, raccourcir, ou même supprimer les méditations et les harmonies qui ne seront pas de son goût ; et sa faute, quelque monstreuse qu’elle soit, ne sera cependant que l’exacte reproduction de la conduite de MM. Fontaine et Vedel. S’il est vrai, et je ne puis consentir à le croire, que les lois qui disposent de la propriété des œuvres intellectuelles, consacrent une violation si évidente du sens commun, en attendant que les chambres abrogent ces lois aveugles