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LE SALON DU ROI.

de traduire les sentimens énergiques, doit se résigner au calme sous peine de n’être plus allégorique. Bien qu’elle personnifie un ordre déterminé de sentimens, cependant elle ne peut oublier impunément qu’elle est supérieure à la manifestation réelle de ce qu’elle résume et idéalise. La violence permise aux figures de proportions ordinaires, aux figures vivantes, n’est pas permise aux figures allégoriques. M. Delacroix paraît convaincu de cette vérité, car il a donné à la guerre une attitude et un visage qui expriment à la fois la force et la sécurité. Envisagée sous ce double point de vue, il nous semble que la figure de la guerre est bien ce qu’elle devait être.

Les groupes explicatifs ne sont pas imaginés avec moins de bonheur. D’un côté, un ouvrier fourbit les armures ; de l’autre, une mère presse contre son sein son enfant effrayé. Entre ces deux poèmes le peintre a placé l’image de la captivité. Ces trois momens de la vie militaire ont fourni au peintre l’occasion de montrer toute la variété des moyens dont il dispose. Dans le groupe de l’armurier, il s’est montré viril, énergique, abondant ; il a trouvé pour la poitrine et les bras du personnage principal une musculature pleine de force et de noblesse ; les boucliers et les casques sont d’un bon effet et d’une pâte solide. Le groupe de la captivité est empreint d’un intérêt touchant. Toutefois, la figure dont les bras sont enchaînés me paraît mériter un reproche. Les épaules de cette figure sont modelées de telle sorte que l’esprit hésite quelques instans avant de découvrir si la figure est vue de face ou de dos. Il suffirait, pour prévenir le retour de cette hésitation, de simplifier et surtout de raffermir le modelé des épaules. Le mouvement des bras deviendrait alors plus clair et ne permettrait plus le doute à l’œil du spectateur. Malgré cette tache qui disparaîtrait facilement, le groupe de la captivité plaît au regard aussi bien qu’à la pensée. Les chairs et les vêtemens sont traités avec souplesse, et l’attitude de chaque personnage est bien choisie et bien rendue. Le groupe de la maternité est, à mon avis, le meilleur des trois, non seulement comme conception, mais aussi comme exécution. Là, rien n’est indécis ni obscur ; l’œil se promène avec bonheur de la mère à l’enfant, et l’esprit n’éprouve aucune incertitude sur le sens des lignes qu’il aperçoit.

L’analyse de chacun de ces morceaux nous engage à placer la