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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

met en route, tout jeune, plein d’ardeur, heureux de voir un monde nouveau et d’ouvrir sa pensée à de nouvelles émotions. Il traverse la Prusse, la Saxe ; il visite ses frères les poètes d’Allemagne, et Weimar leur sanctuaire, et Gœthe leur patriarche ; puis il vient à Paris. La Bibliothèque royale possède une nombreuse collection d’ouvrages du Nord. Œhlenschlœger y puisa souvent, et dans la modeste chambre de voyageur qu’il occupait à l’hôtel de Hollande, rue des Bons-Enfans, il écrivit l’une de ses meilleures tragédies : Palnatoke.

« J’ai gardé un tendre souvenir de Paris, me disait-il un jour. C’est là que j’ai trouvé la vie, le mouvement de l’intelligence, et c’est, après ma ville natale, la ville que j’aime le mieux au monde. » Il n’y fut cependant pas constamment calme et heureux. Tandis qu’il s’en allait chaque matin dans la rue Richelieu étudier les sagas, la guerre était en Danemark ; les Anglais bombardaient Copenhague. Il ne recevait point de nouvelles de son pays, ou s’il en recevait, c’étaient des lambeaux de bulletins politiques qui ne pouvaient que l’alarmer. Dans cet état de crise, les employés du ministère des finances se souvenaient fort peu du poète. Il attendit en vain le mandat qui lui était promis. Il épuisa peu à peu son trésor de pélerin qui n’était pas grand, et il se trouva seul en pays étranger, sans appui et sans ressource. Par mesure d’économie, il avait déjà changé de demeure ; il habitait une mansarde au septième étage à l’hôtel des Quinze-Vingts. La maîtresse d’hôtel, Mme Gauthier, devina sa position, et lui dit : « Monsieur Ohlens (car il était impossible à la bonne femme de prononcer ce long nom d’Œhlenschlœger), ne vous inquiétez pas ; restez chez moi ; quand vous recevrez de l’argent, vous me paierez, et jusque-là je ne vous demande rien. »

Le mandat tant désiré arriva enfin ; mais le compte de l’hôtel en absorba la plus grande part. Le pauvre voyageur, trompé par la fortune, se confia aux muses. Il réunit ses poésies inédites : Hakon Jarl, Palnatoke, prit le chemin de Stuttgart, et s’en alla tout droit chez Cotta, l’éditeur de Gœthe et le Mécène des jeunes poètes. Hélas ! le Mécène était absent. Il fallut rester à l’hôtel et attendre.

Trois semaines après, Cotta revint, paya richement les œuvres qui lui furent présentées, et Œhlenschlœger partit pour l’Italie, bénissant les libraires qui savent user noblement de leur fortune.