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REVUE DES DEUX MONDES.

Il passa par la Suisse, et s’arrêta plusieurs mois chez Mme de Staël. Il trouva chez elle cet intérieur poétique, si bien décrit par M. Sainte-Beuve dans cette Revue. Là étaient W. Schlegel, Benjamin Constant, Sismonde de Sismondi, Bonstetten, Tieck le sculpteur, Zacharie Werner. L’auteur de Corinne apparaissait au milieu de ces poètes comme une reine au milieu de ses sujets. Malheureusement la plus parfaite union ne régnait pas toujours autour d’elle. Benjamin Constant et Schlegel étaient parfois, à l’égard l’un de l’autre, dans un état de susceptibilité inquiétant, et Zacharie Werner avait des élans d’excentricité qui dérangeaient tout l’équilibre de cette république littéraire. Il ne fallait rien moins que l’ascendant de Mme de Staël pour rapprocher des esprits qui tendaient sans cesse à se disjoindre, et rallier des élémens souvent fort disparates. « Elle écrivait alors, dit Œhlenschlœger, son livre sur l’Allemagne, et lisait chaque jour un volume allemand. On l’a accusée de n’avoir pas étudié elle-même les ouvrages dont elle parle, et d’avoir formulé tous ses jugemens d’après W. Schlegel. Cette assertion est fausse. Elle lisait l’allemand avec la plus grande facilité ; seulement elle avait de la peine à le prononcer, et quand elle me voulait faire connaître quelques pages écrites dans cette langue, elle les traduisait aussitôt en français. Schlegel a eu sans doute quelque influence sur ses études. Il est le premier qui lui ait appris à connaître la littérature germanique ; mais sur plusieurs points essentiels, elle était d’un avis complètement opposé au sien. Elle aimait à discuter avec lui, car elle se sentait forte. Elle le plaisantait aussi parfois, et l’appelait Tête lente ! »

Au commencement du printemps, Œhlenschlœger passa les Alpes, et visita Turin, Parme, Florence, Rome, Bologne. Ce voyage sur la terre classique, cette étude de l’Italie, devaient avoir de l’influence sur un esprit aussi impressionnable que le sien. Elle en eut une grande. Elle tempéra ce qu’il y aurait peut-être eu de trop âpre dans sa nature d’homme du Nord. Elle fortifia en lui l’amour de la forme, et lui découvrit de nouveaux points de vue qu’il a su depuis habilement employer.

En 1809, il reprit avec joie le chemin de Copenhague. Il avait passé près de cinq années loin de son pays, mais pendant ce temps-là sa réputation avait grandi. Ses poèmes étaient venus, à différentes reprises, surprendre le public. Hakon Jurl avait été