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REVUE. — CHRONIQUE.

sidé à cette tâche, et méconnaître encore un esprit organisateur et bienfaisant, à qui la justice a tardé trop long-temps de venir pour qu’elle ne lui soit pas rendue tout entière.

Nous n’avons que peu de mots à dire de cette fête si splendide, dont toute l’Europe ne tardera pas à connaître les détails ; car trente dépêches ont sans doute porté aux cours étrangères l’expression de l’étonnement que nous avons vu se manifester parmi les membres du corps diplomatique, à l’aspect de tant de magnificence. Dès le matin, les appartemens de Versailles avaient été ouverts aux personnes invitées, et à trois heures la foule se pressait dans les principaux salons. Presque tout ce que la France compte d’hommes illustres, de grands généraux dont les murs de Versailles retracent les batailles, de noms historiques qui se lient à tous les souvenirs de ce glorieux château, les hommes d’état, les savans, les étrangers marquans, les pairs, les députés, les académies, le conseil d’état ; toute cette cour enfin où l’on figure par l’ancienneté et l’éclat de ses services, par son mérite, par son talent, les uns sortis des rangs par la fortune de la guerre, les autres par le choix de leurs concitoyens ; cette cour, si on peut l’appeler une cour, attendait le roi, heureuse et fière de pouvoir le saluer dans le Panthéon même où il a déposé d’une main si libérale tous nos titres au respect et à l’estime des autres nations. Que l’on se figure si l’on peut cette marche triomphale du roi et de sa famille à travers les grandes solitudes de Versailles, alors peuplées de cette foule d’élite, sous ces voûtes si sombres et si désolées il y a peu de temps, aujourd’hui si brillantes et si parées ! Le maréchal de France, couvert d’ordres, de broderies et de rubans, payés des flots de son sang et sortis, au bout de trente ans de guerre, du fond de sa giberne, passait sous les tableaux où il figure, jeune et obscur, marchant pieds nus à la conquête de ses galons de sergent ou de sa première épaulette. De vieux membres de la commission d’Égypte, en levant les yeux, se voyaient assis dans les temples du désert, épelant la science qui les a menés à la fête royale de Versailles, sous l’habit de l’Institut. On voyait les doyens de la diplomatie et de la chambre des pairs entrer avec émotion dans la chambre de Louis XIV, la seule chambre royale en Europe où ils n’avaient pas encore pénétré. Là s’est arrêté le roi avec sa famille. Le roi, qui guidait sa fille, la reine des Belges, a montré au roi des Belges et à Mme la duchesse d’Orléans le lit de Louis XIV. — C’est là, a dit le roi, dans ce lit, que Louis XIV est mort et qu’il a dicté ses dernières volontés. — Mme la duchesse d’Orléans a baissé la tête en signe de respect, et ses regards, parcourant cette chambre majestueuse, se sont portés, comme par sympathie, sur le portrait de la duchesse de Bourgogne, cette jeune et charmante princesse, qui contribua tant, par son aménité et le charme de son esprit, au bonheur du prince qui l’épousa et à l’agrément de la famille royale au sein de laquelle elle vécut.

La salle ou plutôt les salles de banquet étaient préparées. Dans la grande galerie des glaces, et dans les dix grands salons latéraux, vingt tables avaient été dressées. Quinze cents convives furent placés ; et dans le salon de Vénus, où présidait le prince de Joinville, une table de quarante couverts resta vide, tant la fête avait été ordonnée avec profusion.