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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

l’Angleterre abondait à ses yeux, et qui choquaient d’abord son goût délicat et moqueur.

Le mouvement, la vie d’une société libre, voilà ce qu’il avait entrevu dans l’activité d’Amsterdam, et ce qu’il retrouvait avec délices sous une forme plus brillante, dans le luxe et la richesse de Londres. Il n’y vit pas la cour, cependant. Bolingbroke, son ami, était, nous l’avons dit, le chef d’une opposition à demi jacobite, à demi républicaine, qui luttait contre l’ascendant habile et corrupteur de Walpole. Voltaire sortit peu de ce cercle, dont il aimait les hardis entretiens, sans partager ses passions. Il vit Congreve, et s’indigna de le trouver plus gentilhomme que poète, et plus flatté de ses emplois publics que de ses anciens succès au théâtre. Il rechercha Pope, et surtout étudia ses écrits.

Vers ce temps, comme Pope revenait un soir de la ferme de Bolingbroke, dans le carrosse de son noble ami, les chevaux, en passant sur un pont demi-rompu, le versèrent dans la Tamise. Le poète faillit se noyer ; mais, grace à sa petitesse, on le tira de la voiture à travers la glace brisée d’une des portières. Il fut ramené chez lui l’épaule démise et la main blessée par les éclats du verre. Voltaire s’empressa de lui écrire avec une affectueuse inquiétude. Les deux poètes se virent ; mais la gravité caustique et prude du poète anglais goûta peu la fougue brillante et la gaieté de Voltaire. Un jour, à table chez Pope, Voltaire ayant plaisanté sur le catholicisme, Pope, qui versifiait les idées de Bolingbroke, sans être incrédule comme lui se leva d’impatience, et sortit avec humeur. Le bruit se répandit que ce jeune Arouet, qui parlait si étourdiment et si haut, avait quelque mission secrète du ministère de France, et qu’il fallait s’en défier. Il n’en était rien. Le cardinal de Fleury ne l’eût pas choisi pour agent ; et Voltaire, qui aimait fort les affaires d’état, n’eut jamais de mission qu’auprès du roi de Prusse. Mais on conçoit sans peine que l’intimité de Bolingbroke, suspect par tant de rôles qu’il avait joués, et cette alternative de faveurs royales et de disgraces qu’avait éprouvée Voltaire, pouvait jeter quelque doute sur lui.

Voltaire, d’ailleurs, prêtait à ces calomnies par une certaine affectation de crédit à la cour de France. On le voit, à la même époque, offrir à Swift, qui voulait visiter Paris, une lettre de recommandation pour notre ministre des affaires étrangères, M. de Mor-