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la situation actuelle qui laissera dans les esprits une impression plus favorable.

Si la révolution de la Granja était restée fidèle à son berceau, si le vent qui avait enflé ses voiles depuis Malaga jusqu’au palais de Saint-Ildephonse avait continué à souffler dans la même direction, il n’y aurait plus aujourd’hui en Espagne ni royauté ni pouvoir. La constitution de 1812, qui annulait la première et désarmait l’autre, aurait consacré un état de choses indéfinissable où l’on n’aperçoit que des moyens et des centres de résistance à l’action du gouvernement, multipliés par système, sans aucune force régulièrement organisée, pour que cette action se réalise. Et par exemple, on ne conçoit pas trop comment, sous l’empire de cette constitution loyalement appliquée, il eût été possible d’opposer une résistance efficace au dernier mouvement insurrectionnel de la Catalogne, ou comment, l’ordre ayant été rétabli par la force, on maintiendrait les mesures prises pour empêcher qu’il ne soit troublé de nouveau. Si donc la révolution de la Granja n’a pas fait à l’Espagne le mal qu’on pouvait en attendre et que nous en attendions, nous, pour notre compte, c’est qu’elle a cessé d’être elle-même ; c’est qu’elle a perdu son caractère, désavoué son origine et complètement changé son but ; c’est que non seulement elle a commencé par s’arrêter, mais que bientôt après elle est retournée en arrière, et que, sous le rapport des institutions politiques, elle est arrivée à reculons, presqu’au même point que le statut royal aurait atteint dans son développement naturel. Quant au bien que d’autres en espéraient et qui ne s’est pas réalisé non plus, les faits parlent assez haut, et leur irrésistible puissance a dissipé beaucoup d’illusions : des finances épuisées, une armée affaiblie, après avoir été pendant deux mois menacée d’une dissolution complète, un découragement universel, l’égoïsme provincial et municipal substitué partout à l’intelligence des grands intérêts du pays, les prestiges de la patrie et de la liberté évanouis, un peuple qui doute de lui-même et qui n’intéresse plus les autres ; voilà tout le progrès dont l’Espagne est redevable à la révolution de la Granja, déplorables résultats que rien ne rachète dans le présent et qui effraient pour l’avenir.

Nous avons maintenant à présenter dans ses détails l’histoire et le tableau de cette situation. Nous ne voulons en faire ni un plaidoyer ni un acte d’accusation pour ou contre personne, soit en ce qui concerne les hommes et les affaires de l’Espagne, soit relativement à la politique suivie par les autres puissances envers ce malheureux pays. Nous chercherons surtout à bien exposer les faits, et quand l’é-