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dans les eaux de l’Inn. Dans le même moment, le silence de la nuit est troublé par les sons retentissans des trompes et des cloches. Le tocsin sonne dans chaque village ; des cris aigus, prolongés, gutturaux, pareils à ceux que poussent les patres pour s’avertir entre eux (jodeln ), retentissent d’un bord à l’autre des vallées, et une rumeur extraordinaire arrive de chaque partie de la montagne.

Plus de doute, toute la rive droite de l’Inn était soulevée ; chaque village courait aux armes. Au point du jour, ceux qui défendaient Hall, tenant fermée la porte qui fait face au pont et à la rive droite de l’Inn, n’ouvrirent que la porte de la rive gauche, près de laquelle Speckbaker et sa troupe étaient cachés. Tout paraissant tranquille de ce côté, la garnison de Hall se hasarda bientôt à pousser une reconnaissance à quelque distance des murailles, pour se mettre en communication avec Inspruck. Speckbaker laisse les soldats s’engager dans la campagne ; puis, tout à coup, sortant de son embuscade, il fond sur les sentinelles qui gardaient le pont-levis, les égorge, et se précipite dans la ville. La terreur y était à son comble ; aussi, en un clin d’œil, les Bavarois, culbutés, furent-ils ou tués, ou pris, ou rejetés au-delà du pont. Les Tyroliens, dans cette affaire, ne perdirent que deux hommes.

Speckbaker employa tout le reste du jour à organiser sa troupe, qui grossissait d’heure en heure, et à armer les nouveaux arrivans. Vers le soir, il conduisit sa petite armée sous les murs d’Inspruck, où tout le pays semblait s’être donné rendez-vous. Le lendemain, plus de vingt mille paysans attaquaient vivement les faubourgs de la ville, que défendait le régiment du général Kindel, aidé de quelque cavalerie et autres troupes légères. Ces soldats étaient aguerris, les officiers qui les commandaient ne manquaient pas de bravoure et de résolution ; néanmoins il fallut céder. Kindel essaya vainement de se retrancher au centre de la ville ; il ne put résister à l’acharnement extraordinaire et au nombre toujours croissant de ces sauvages ennemis. Après quelques heures de combat, les Tyroliens étaient maîtres de la grande rue et des postes principaux. À l’approche de la nuit, les Bavarois avaient évacué le reste de la ville.

Inspruck, la capitale du pays, était tombée au pouvoir des insurgés, et cependant l’œuvre de la délivrance n’était pas encore achevée. Les Français, en armes, occupaient le Brenner sous le commandement du général Bisson. Les restes de la garnison d’Inspruck, réunis aux Bavarois de de Wrède, étaient retranchés sur les hauteurs voisines ; et des rues de la ville on pouvait voir les soldats des deux nations se concentrer aux environs des faubourgs, et se préparer à une attaque décisive. Mais la confiance des Tyroliens égalait leur ardeur : elle était sans bornes, car elle ne reposait pas seulement sur des motifs humains, sur les raisonnemens de la prudence ordinaire, ou sur les calculs positifs qui, d’habitude, servent de bases aux actions des hommes ; cette confiance, ils la puisaient dans des sentimens qui avaient sur eux un bien autre empire, dans une foi vive, ou plutôt une extrême crédulité, et