Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/255

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
JOSEPH SPECKBAKER.

un combat furieux, auquel la nuit seule put mettre fin, s’engagea entre ces montagnards résolus et leurs adversaires plus aguerris. Le lendemain, l’affaire recommença avec plus d’acharnement que la veille. Dix fois les Français furent sur le point d’emporter les ponts que défendaient Speckbaker et le capucin ; dix fois ils furent repoussés avec une perte énorme. Les artilleurs, tués un à un par les tireurs les plus adroits, manquaient aux pièces. Les cavaliers et les fantassins étaient brisés contre les rocs, écrasés sur le chemin, ou précipités dans le torrent par les éboulemens que du haut de la montagne les paysans dirigeaient sur les groupes les plus épais. Exaspérés à la fin par cette résistance inattendue, les Français tentent un dernier effort ; ils s’élancent en colonnes serrées sur le pont ; ils vont s’en rendre maîtres, mais, tout en combattant, les Tyroliens y ont mis le feu, et ils ne l’abandonnent que quand ils le voient presque entièrement consumé. Arrêtés par ce mur de flammes, les soldats hésitent ; leurs officiers essaient vainement de les pousser en avant. L’un d’eux, homme d’une bravoure digne d’un meilleur sort, espérant entraîner le reste de sa troupe, lance son cheval au milieu des flammes. Déjà il est parvenu aux deux tiers du pont, ses soldats s’ébranlent et vont le suivre, quand les poutres qui soutiennent le plancher, minées par l’incendie, cèdent sous les pieds du cheval ; la charpente éclate et s’affaisse, le pont s’abîme avec fracas, et ses débris enflammés entraînent dans le torrent le malheureux officier.

Vers la nuit, les Franco-Saxons, découragés par cette malheureuse tentative, se retirèrent vers Sterzing, harcelés dans leur marche par des milliers d’ennemis. Les montagnards, qu’exaltait le succès de leurs frères, accouraient de tous les points du pays, fourmillaient sur les hauteurs, occupaient chaque défilé que les Français étaient obligés de forcer pour s’ouvrir un passage. Ils savaient que le maréchal Lefèbvre avait quitté Inspruck à la tête du reste de ses troupes et accourait à Sterzing, décidé à en finir d’un seul coup avec cette insurrection, dont il attribuait le succès à l’impéritie des généraux de Wrède et Deroy ; ils fortifiaient donc encore les points que naguère ils avaient défendus avec tant de succès. Les vieillards, les enfans, les femmes, aidaient au travail, transportant des arbres, roulant des rochers, et préparant avec ardeur leur nouvelle et terrible artillerie de montagne.

Le lendemain de son départ d’Inspruck, le maréchal Lefèbvre concentrait toutes ses troupes aux environs de Sterzing. Pendant ce temps les chefs tyroliens Speckbaker et Haspinger, cantonnés sur les hauteurs qui s’élèvent à l’est et au midi de la ville, observaient tous ses mouvemens. Jusqu’alors, ces deux chefs avaient seuls soutenu l’effort de l’ennemi ; ils attendaient impatiemment Hofer, et ce ne fut pas sans un vif sentiment de satisfaction, que le matin de ce jour ils aperçurent du côté de l’ouest, dans la direction de Telfs et de Gasteig, les levées en masse que le brave aubergiste amenait du Passeyer-Thal et de Méran. Ces bandes, répandues sur les hauts pâturages du Jaufen-Berg, tiraillaient avec les avant-postes de l’ennemi, et cherchaient à se mettre en communication avec leurs frères de l’Eisach.