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EMMELINE.

qu’elle ne l’a été. Oui, elle essaya de mentir, de tromper son mari ; en dépit de ses sermens, de ses promesses, de ses douleurs et de ses remords, elle revit Gilbert ; et, après avoir passé deux heures avec lui dans un délire de joie et d’amour, elle sentit, en rentrant chez elle, qu’elle ne pouvait ni tromper ni mentir ; je vous dirai plus, Gilbert le sentit lui-même, et ne lui demanda pas de revenir.

Cependant il ne partait pas encore, et ne parlait plus de voyage. Au bout de quelques jours, il voulait déjà se persuader qu’il était plus calme, et qu’il n’y avait aucun danger à rester. Il tâchait, dans ses lettres, de faire consentir Emmeline à ce qu’il passât l’hiver à Paris. Elle hésitait ; et, tout en renonçant à l’amour, elle commençait à parler d’amitié. Ils cherchaient tous deux mille motifs de prolonger leur souffrance, ou du moins de se voir souffrir. Qu’allait-il arriver ? Je ne sais.

ix.

Je crois vous avoir dit, madame, qu’Emmeline avait une sœur C’était une belle et grande jeune fille, et de plus un excellent cœur. Soit par une timidité excessive, soit par une autre cause, elle n’avait jamais parlé à Gilbert qu’avec une extrême réserve, et presque avec répugnance, lorsqu’elle avait eu occasion de le rencontrer. Gilbert avait des manières d’étourdi et des façons de dire qui, bien que simples et naturelles, devaient blesser une modestie et une pudeur parfaites. La franchise même du jeune homme et son caractère exalté avaient peu de chances de rencontrer de la sympathie chez la sévère Sarah (c’était le nom de la sœur d’Emmeline) ; aussi quelques mots de politesse échangés au hasard, quelques complimens lorsque Sarah chantait, une contredanse de temps en temps, c’était là toute la connaissance qu’ils avaient faite, et leur amitié n’allait pas plus loin.

Au milieu de ces dernières circonstances, Gilbert reçut une invitation de bal d’une amie de Mme de Marsan, et il crut devoir y aller, pour se conformer au désir de sa maîtresse. Sarah était à cette soirée. Il fut s’asseoir à côté d’elle. Il savait quelle tendre affection unissait la comtesse à sa sœur, et c’était pour lui une occasion de parler de ce qu’il aimait à quelqu’un qui le comprenait. La maladie récente servit de prétexte ; s’informer de la santé d’Emmeline, c’était s’informer de son amour. Contre sa coutume, Sarah répondit avec confiance et avec douceur ; et l’orchestre ayant donné, au milieu de leur entretien, le signal d’une contredanse, elle dit qu’elle était lasse, et refusa son danseur, qui venait la chercher.