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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

Sa vie et ses œuvres semblent prouver cette triste vérité ; athée dans ses discours, il est païen dans ses poésies. Là, toutes les divinités de l’Olympe et du Parnasse paraissent s’être donné rendez-vous ; là, on voit figurer Mars, Vénus, et les Muses, et Bacchus avec son inévitable cortége de bacchantes. Pouchkin est païen comme Anacréon, comme André Chénier ; dans les premiers essais de sa jeunesse, c’est le voluptueux abandon, c’est le coloris frais et gracieux de Parny qu’il reproduit avec un rare bonheur d’expression ; plus tard, Chénier s’empare de ses affections et de ses admirations de poète, il l’imite, il le traduit, il pleure sa mort dans une touchante élégie ; plus tard enfin, il emprunte à Byron des chants pleins d’une amère tristesse. Ami des fêtes bruyantes où l’on crie bien fort pour s’étourdir soi-même, dominé par des passions qui, pour être éphémères, n’en étaient pas moins violentes, il devait souvent éprouver la langueur des sens rassasiés de plaisir, le dégoût des choses, des hommes, de la gloire.

Cependant c’est de Chénier surtout que Pouchkin se rapproche. Comme Chénier, il est exclusivement préoccupé de l’amour du beau dans la nature et dans les arts ; comme lui, il a voué à la forme un culte exclusif ; le fond de ses poésies l’inquiète peu, il l’emprunte, sans scrupule, aux anciens et aux modernes ; ciseleur habile, il achète le lingot d’or et d’argent dont il a besoin, sans se donner la peine de fouiller la terre pour l’en retirer ; puis, il le travaille avec une merveilleuse patience, avec un art infini ; et, quand son œuvre est terminée, il se dit en souriant que désormais on oubliera le métal qu’a fourni le mineur, pour ne plus voir et ne plus admirer que le vase ou la coupe qu’a créé l’ouvrier. Esprit mobile et vagabond, il entremêle au hasard les sujets burlesques avec les sujets sérieux ou mélancoliques : ici, il aiguise une épigramme contre un Zoïle incommode ; là, il murmure une élégie ; plus loin, il vous raconte naïvement quelque ballade populaire. Ce n’est pas un voyageur qui, pressé d’arriver au but, marche rapidement dans un sentier poudreux c’est un enfant indolent qui erre dans une vallée, se mire dans un ruisseau, cueille une fleur, puis l’effeuille, puis se couche sous un arbre et s’endort, doucement bercé par des images de bonheur. Tableaux de la nature, cris de guerre, chants d’amour, soupirs de volupté, déceptions, tristesses, élans vers la gloire, voilà les thèmes que Pouchkin varie avec une inépuisable fécondité. Tantôt « il porte envie à l’aventureuse existence du hussard intrépide qui chante et qui triomphe, qui donne des dîners et des batailles, et, dans son