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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

enfans, compte leurs années sur ses doigts sanglans, etc., etc. » Le tout est écrit du même style ; certes, jamais l’acharnement le plus aveugle n’imagina quelque chose de plus grotesquement hyperbolique ; mais six années s’écoulent, Napoléon meurt sur son rocher, et à ces cris de rage succèdent des cris de douleur et d’admiration ; l’on dirait que la gloire du banni, purifiée par cette solennelle expiation, remonte au ciel plus lumineuse et plus éclatante. Écoutons Pouchkin, mais remarquons d’abord que dans l’original plusieurs strophes sont incomplètes ; c’est que toutes les fois que le poète se permet de trop grandes licences, la censure est là, qui biffe et qui rogne ; c’est qu’à la place d’un de ces vers chaleureux, qui partent de l’ame et vont à l’ame, elle met des points. Heureuse encore la victime qui peut protester ainsi tacitement contre les mutilations qu’on fait subir à son œuvre, et indiquer au public que si sa pensée ne lui parvient pas dans son intégrité, c’est qu’il s’élève entre l’homme qui l’avait produite et l’homme qui devait la recevoir, une barrière que le génie ne saurait franchir, que toute une nation doit respecter : la volonté d’un maître interprétée par un sot ou par un envieux !

Voici le début du poète :

« Une grande destinée vient de s’accomplir, un grand homme vient de disparaître ; l’astre menaçant de Napoléon s’est éteint dans de sombres nuages ! Il n’est plus, ce maître découronné ; il n’est plus, ce puissant favori de la victoire, et pour l’exilé du monde la postérité commence ! »
« Ô toi, dont la sanglante mémoire remplira long-temps l’univers, dors au milieu de l’Océan ! dors à l’ombre de ta gloire ! la haine des nations tombe en face de cette urne où ta cendre repose, où luit un rayon d’immortalité !
« Naguère encore, rien n’arrêtait sur la terre avilie le vol de tes aigles invincibles ; naguère aux éclats de ta foudre, les royaumes croulaient, et, sous ta main de fer, tu ployais l’humanité. Et la France, oubliant ses magnifiques espérances de liberté, contemplait d’un regard enivré son brillant déshonneur, car tu conviais ses fils à un large festin… »

Après quelques strophes obligées sur la guerre de Russie et l’incendie de Moscou, le poète termine ainsi :

« Ces triomphes, ces merveilles, ne les lui reprochez pas, il les a cruellement expiés dans son étouffant exil. Un jour, une voile, partie de l’occident, visitera cette île fameuse, et le voyageur gravera des paroles de paix sur ce rocher où le banni venait s’asseoir. Là, promenant ses regards sur l’Océan solitaire, il se rappelait le ciel de sa France chérie ; là, il semblait prêter l’oreille au roulement des tambours, au fracas de l’artillerie ; souvent enfin, oubliant la guerre, et le trône et la postérité, il pensait à son