Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
364
REVUE DES DEUX MONDES.

Grégoire. — Ne le méprise pas, ce vagabond ; il a peut-être assez de génie et de vertu pour mériter le trône et ta main.
Marina. — Dis plutôt, misérable, pour mériter l’ignoble supplice des bandits et des scélérats.
Grégoire. — J’ai failli, je l’avoue ; égaré par l’orgueil, j’ai abusé le monde, je me suis joué du ciel ; mais ce n’est pas à toi, Marina, de m’en punir, car je ne t’ai pas trompée, car tu es le seul être que j’aime, le seul dieu que je respecte, et ta présence suffit pour arrêter le mensonge sur mes lèvres ; c’est l’emportement de l’amour et de la jalousie qui m’a seul arraché cet aveu.
Marina. — Pourquoi le faire ? Qui te le demandait ? S’il est vrai que tu ne sois qu’un moine fugitif, sans fortune et sans nom, et que, par un prodige inoui, tu aies pu faire illusion à deux grands peuples, que ne te rends-tu digne de cet étonnant succès ? Que ne couvres-tu ton imposture d’un voile éternel, impénétrable ? Puis-je, dis-moi, associer ma destinée à la tienne, quand tu viens si niaisement me révéler ton propre déshonneur ? Tu ne l’as fait que par amour, et qui me répond que demain tu ne le feras point par amitié pour mon père, par piété pour un prêtre, par fanfaronnade avec un autre ?
Grégoire. — Je jure que tes seuls dédains ont pu me faire parler ; je jure que je ne trahirai mon secret, ni dans l’ivresse des festins, ni dans les épanchemens de l’amitié, ni sous le poignard du meurtrier, ni dans les tortures de la question.
Marina. — Puisque tu le jures, il faut te croire ; mais, dis-moi, qui prends-tu à témoin de ce serment ? Est-ce Dieu, ainsi qu’il sied à un fervent disciple des jésuites ? est-ce l’honneur, comme doit le faire un noble chevalier ? ou, comme un fils de roi, nous donnes-tu simplement ta royale parole ?
Grégoire, fièrement. — L’ombre de Jean-le-Terrible m’a adopté du fond de son tombeau ; elle m’a proclamé Démétrius ; elle a soulevé les peuples à ma voix ; elle a désigné Boris pour être ma victime ; je suis roi. Adieu ; je ne me suis que trop avili devant une orgueilleuse Polonaise ; les hasards de la guerre, et dans quelque temps peut-être, les soins de mon empire me feront oublier mon amour, et quand cette fatale passion sera morte dans mon cœur, il n’y restera plus que de la haine et du mépris pour celle qui l’a inspirée. Je vais chercher une couronne, je trouverai peut-être la mort ; qu’elle m’atteigne comme un soldat sur les champs de bataille, ou comme un obscur rebelle sur une place publique, je ne serai plus qu’un étranger pour toi ; mais peut-être aussi regretteras-tu, bientôt, d’avoir brisé les liens qui allaient nous unir.
Marina. — Et si j’allais découvrir ta ruse, arracher le masque dont tu te couvres, imposteur ?
Grégoire. — On ne te croirait pas, et, d’ailleurs, le roi, le pape, les grands, tous savent à quoi s’en tenir sur mon compte ; que je réclame des