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— Valerio ! voilà messer Valerio ! cria du haut des planches l’apprenti Bartolomeo, qui voyait par un des jours de la coupole le débarquement des gondoles aux degrés de la Piazzetta.

Peu d’instans après, Valerio, suivi de ses ouvriers, portant un grand panier de verroterie, entra dans la basilique d’un air dégagé et chantant, d’une voix fraîche et sonore, sans trop de respect pour le lieu saint, le refrain d’une chanson d’amour.

Mais aussitôt qu’il eut aperçu son père, il se découvrit et cessa de chanter ; puis il s’approcha sans trouble et l’embrassa avec l’assurance et la candeur d’une ame droite.

Zuccato fut frappé de sa bonne tenue, de son air riant et ouvert. Valerio était le plus beau garçon de Venise.

Il était moins grand, mais mieux découplé et plus robuste que son frère. L’expression de son admirable visage n’offrait, au premier abord, qu’enjouement, courage et franchise. Il fallait de l’attention pour découvrir dans ses grands yeux bleus le feu sacré qui sommeillait souvent à l’ombre d’une douce insouciance, et dont un peu de fatigue avait, sinon altéré, du moins voilé l’éclat. Cette demi-pâleur ennoblissait sa beauté et tempérait l’audacieuse sérénité de son regard. Il était toujours d’une grande coquetterie dans sa toilette, et donnait le ton aux plus brillans seigneurs de la république. Il était recherché par eux et par les dames à cause du talent qu’il avait pour composer et dessiner des ornemens que l’on faisait ensuite exécuter, sous sa direction, en broderie d’or et d’argent, sur les plus riches étoffes. Une toque de velours entourée d’une grecque de la façon de Valerio Zuccato, une frange de robe taillée sur ses modèles, une bordure de manteau en drap d’or brodé de soies nuancées avec des enroulemens de chaînes, de fleurs ou de feuillages dans le goût de ses mosaïques byzantines, étaient, aux yeux d’une dame de bonne maison ou d’un seigneur de mœurs élégantes, des objets de première nécessité. Valerio gagnait donc beaucoup d’argent à cette industrie qui le délassait de ses travaux et de ses plaisirs, et qu’il exerçait dans son petit atelier à Santi-Filippo e Giacomo, à l’ombre d’un certain mystère auquel tout le monde était initié bénévolement. Sa bonne mine, sa belle humeur, ses relations avec les magnifiques patriciens et les joyeux ouvriers qui remplissaient son atelier à toute heure, l’avaient entraîné nécessairement à la vie de plaisir ; mais son activité naturelle et sa fidélité à remplir tous les engagemens d’un travail quelconque le préservaient de tomber dans l’excès d’un désordre qui eût ruiné son génie.