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nique. Ces figures et ces traits de mœurs ne sont pas de ceux qu’il convient de montrer à l’innocent public que M. Pierre Lagache se propose d’instruire et d’amuser.

C’est le sort des œuvres de haute portée et hors de ligne d’entraîner à leur suite un innombrable troupeau d’imitateurs serviles. On sait combien de copies misérables suscitèrent en leur temps les célèbres Paroles d’un Croyant. Durant tout un an, il n’y eut pas un voyant ou un croyant qui n’eût aussi ses paroles à nous dire. Cette longue procession n’est pas même achevée aujourd’hui. Nous avons sous les yeux les Paroles du Cœur, écrites récemment par un certain vieux Jacques, serviteur de Jésus, aux tribus dispersées. Certainement nous ne nous étendrons pas sur ce livre. Il suffira de dire que c’est encore une manière de prédication évangélique, mystique et démocratique, semée d’apologues et de paraboles, coupée en petits chapitres et en petits versets, où tout est, selon l’usage, imité de l’abbé de La Mennais, excepté le style.

Volupté, parmi les romans, ne nous aura peut-être pas valu moins de copies médiocres. Madame de Mably n’est encore qu’une pâle contre-épreuve de l’ouvrage de M. Sainte-Beuve. Ne tenons nul compte de la spirituelle recommandation épistolaire donnée par M. Charles Nodier en tête de Madame de Mably. On sait ce que signifient ces certificats de complaisance accordés aux sollicitations des éditeurs. Passons vite sur la longue introduction dans laquelle M. de Saint-Valry, l’auteur du livre, prend le soin fort inutile d’apprendre à ses lecteurs qu’il vit et qu’il écrit en province. Abordons en toute hâte le roman.

Arthur, beau rêveur de dix-huit ans, s’est lié d’amitié avec Pierre, jeune peintre, élève de Guérin. Leur intimité est si étroite, que Pierre a présenté Arthur chez Mme de Mably, sa maîtresse. Mme de Mably, qui florissait sous l’empire, avait quitté son mari pour suivre un colonel italien. Or, son séducteur s’étant laissé tuer à la guerre, Mme de Mably, inconsolable, jure qu’elle n’aura plus qu’un seul autre amant, et que cet amant sera Pierre. Nonobstant cette vertueuse résolution dont il est instruit, Arthur devient passionnément amoureux de Mme de Mably. Grace à cette tendresse malheureuse, tout héros du roman qu’il est, Arthur fait, dans l’histoire, le plus triste de tous les personnages. Comme il n’ose point risquer un aveu direct, il s’avise de l’étrange déclaration d’amour que voici : Pierre peignait pour l’exposition un Christ sur la croix ; il avait besoin d’un saint Jean qui pleurât aux pieds du Seigneur. Arthur offre d’être le modèle du saint Jean. Il s’est imaginé que son air langoureux et désolé touchera bien mieux Mme de Mably en peinture qu’en réalité. Qu’arrive-t-il ? Le tableau exposé, il mène lui-même son héroïne au salon ; mais elle ne remarque pas plus le saint Jean que s’il n’y en avait pas du tout. Elle n’a d’yeux et d’oreilles que pour l’admiration et les éloges qu’excite la toile de Pierre. Découragé par cette tentative, Arthur s’éloigne, il se fait soldat. Une double douleur l’attendait au retour. Il voit mourir successivement Pierre et Mme de Mably, qui, fidèle à sa promesse, n’a point voulu survivre à son second amant.

Ici le roman finit, non pas le livre. Arthur se résigne, il vivra, afin de poursuivre le cours de ses désappointemens. Le mauvais succès de son premier amour l’avait fait renoncer à l’amour ; la poésie, qu’il courtise, ne lui est pas une maîtresse plus prodigue de faveurs : il renonce à la poésie. Une seconde amitié qu’il essaie ne lui rapporte que des froissemens et des mé-