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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

je m’affranchisse de votre système, et que je suive le mien. Une voix intérieure me le commande. Il me semble que je suis destiné à quelque chose de mieux qu’à suivre les traces d’autrui. Si j’échoue, ne me regrettez pas ; si je réussis, comptez qu’à mon tour je ne vous refuserai ni mon aide, ni mes conseils.

Valerio, ne devinant pas (tant il était dépourvu de vanité) que ce discours était inventé dans l’unique dessein de le piquer profondément, réprima une forte envie de rire. Il s’était souvent aperçu de l’amour-propre exagéré du Bozza, et en ce moment il le croyait en proie à un accès de fatuité délirante. C’est ainsi qu’il s’expliqua le trouble où il l’avait vu toute la matinée, et en songeant combien c’était une passion funeste et féconde en souffrances, il eut la douceur de ne pas l’en railler trop ouvertement.

— S’il en est ainsi, mon cher Bartolomeo, lui dit-il en souriant, il me semble qu’en restant avec nous tu serais beaucoup plus à même de nous donner des conseils, et nous de les recevoir. Comme jamais tu n’es contrarié dans ton travail, rien ne t’empêchera de perfectionner et d’innover à ton aise. Si tu fais faire des progrès à notre art, je puis te promettre que, loin de les entraver, je serai heureux d’en profiter pour mon compte.

Le Bozza sentit que, malgré sa complaisance, Valerio se moquait de lui. Désespéré d’avoir voulu en vain être méchant, et de n’avoir été que ridicule, il ne put se contenir davantage, et répondit d’un ton si aigre à plusieurs reprises, que Valerio perdit patience, et finit par lui dire :

— En vérité, mon cher ami, si c’est une révélation de ton génie, que la besogne extravagante et pitoyable que tu faisais tout à l’heure, quand j’ai quitté la basilique, je désire beaucoup que l’art rétrograde dans mes mains, plutôt que de faire de semblables progrès dans les tiennes.

— Je vois bien, messer, répliqua le Bozza, outré de ce que toutes ses petites vengeances tournaient contre lui, que vous n’êtes pas dupe des prétextes que j’invente depuis ce matin pour me séparer de vous. J’aurais désiré vous déplaire, afin de me faire renvoyer, et de vous éviter par là la mortification d’être quitté. Je suis fâché que vous n’ayez pas compris la générosité de ce procédé, et que vous me forciez à vous dire que je ne veux pas rester une heure de plus à votre école.

— Et la raison de ton départ reste impénétrable ? dit Valerio.

— Personne n’a le droit de me la demander, répondit le Bozza.