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Outre que chaque corporation ou confrérie avait sa fête patronale, appelée sagra, où elle déployait toutes ses splendeurs, elle avait le droit de paraître à toutes les fêtes et solennités de la république, revêtue des insignes de son association. À la procession de la Saint-Marc, elles avaient rang de paroisse, c’est-à-dire qu’elles marchaient à la suite du clergé de leur église, portant leurs châsses, croix et bannières, et se plaçant dans des chapelles réservées durant les offices. Les joyeuses compagnies n’avaient pas les mêmes priviléges, mais on leur permettait de s’emparer de la grande place, d’y dresser leurs tentes, d’y établir leurs joutes et banquets. Chaque compagnie prenait son titre et son emblème à sa fantaisie, et se recrutait là où bon lui semblait ; quelques-unes n’étaient formées que de patriciens, d’autres admettaient indistinctement patriciens et plébéiens, grâce à cette fusion apparente des classes, qu’on remarque encore aujourd’hui à Venise. Les anciennes peintures nous ont conservé les costumes élégans et bizarres des compagni de la calza, qui portaient un bas rouge et un bas blanc, et le reste de l’habillement varié des plus brillantes couleurs. Ceux de Saint-Marc avaient un lion d’or sur la poitrine ; ceux de Saint-Théodose, un crocodile d’argent sur le bras, etc., etc.

Valerio Zuccato, célèbre par son goût exquis et son adresse diligente à inventer et à exécuter ces sortes de choses, avait lui-même ordonné et dirigé tout ce qui avait rapport aux ornemens extérieurs, et on peut dire qu’en ce genre la compagnie du Lézard éclipsa toutes les autres. Il avait pris pour emblème cet animal grimpant, parce que toutes les classes d’artistes et d’artisans qui lui avaient fourni leurs membres d’élite, architectes, sculpteurs, vitriers et peintres sur verre, mosaïstes et peintres de fresque, étaient, par la nature de leurs travaux, habitués à gravir et à exister, en quelque sorte, suspendus aux parois des murailles et des voûtes.

Le jour de Saint-Marc 1570, selon Stringa, et 1574 selon d’autres auteurs, l’immense procession fit le tour de la place Saint-Marc sous les tentes en arcades dressées à cet effet, en dehors des arcades de pierres des procuraties, trop basses pour donner passage aux énormes croix d’or massif, aux gigantesques chandeliers, aux châsses de lapis lazuli surmontées de lis d’argent ciselés, aux reliquaires terminés en pyramides de pierres précieuses, en un mot à tout l’attirail ruineux dont les prêtres sont si jaloux, et les bourgeois des corporations si vains. Aussitôt que les chants religieux se furent engouffrés sous les portiques béans de la basilique, tandis que les