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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

enfans et les pauvres recueillaient les nombreuses gouttes de cire parfumée répandues sur le pavé par des milliers de cierges, et cherchaient avidement quelque pierrerie, quelque perle échappée aux joyaux sacrés, on vit se dresser comme par enchantement, au milieu de la place, un vaste cirque entouré de tribunes en bois, gracieusement décorées de festons bariolés et de draperies de soie, sous lesquelles les dames pouvaient s’asseoir à l’abri du soleil et contempler la joute. Les piliers qui soutenaient ces tribunes étaient couverts de banderolles flottantes, sur lesquelles on lisait des devises galantes, dans le naïf et spirituel dialecte de Venise. Au milieu s’élevait un pilier colossal en forme de palmier, sur la tige duquel grimpaient une foule de charmans lézards dorés, argentés, verts, bleus, rayés, variés à l’infini ; de la cime de l’arbre un beau génie aux ailes blanches se penchait vers cette troupe agile, et lui tendait de chaque main une couronne. Au bas de la tige, sur une estrade de velours cramoisi, sous un dais de brocard orné des plus ingénieuses arabesques, siégeait la reine de la fête, la donneuse de prix, la petite Maria Robusti, fille du Tintoret, belle enfant de dix à douze ans que Valerio se plaisait à appeler en riant la dame de ses pensées, et pour laquelle il avait les plus tendres soins et les plus complaisantes attentions. Lorsque les tribunes furent remplies, elle parut habillée à la manière des anges de Giambellino, avec une tunique blanche, une légère draperie bleu de ciel et un délicat feston de jeune vigne sur ses beaux cheveux blonds, qui formaient un épais rouleau d’or autour de son cou d’albâtre. Messer Orazio Vecelli, fils du Titien, lui donnait la main : il était vêtu à l’orientale, car il arrivait de Byzance avec son père. Il s’assit auprès d’elle, ainsi qu’un nombreux groupe de jeunes gens distingués par leur talent ou leur naissance, à qui l’on avait réservé des places d’honneur sur les gradins de l’estrade. Les tribunes étaient remplies des dames les plus brillantes, escortées de galans cavaliers. Dans une vaste enceinte réservée, plusieurs personnages importans ne dédaignèrent pas de prendre place ; le doge leur en donna l’exemple ; il accompagnait le jeune duc d’Anjou, qui allait devenir Henri III, roi de France, et qui était alors de passage à Venise. Luigi Mocenigo (le doge) avait à cœur de lui faire, pour ainsi dire, les honneurs de la ville, et de déployer à ses yeux, habitués à la joie plus austère et aux fêtes plus sauvages des Sarmates, le luxe éblouissant et la gaieté pleine de charmes de la belle jeunesse de Venise.

Quand tous furent installés, un rideau de pourpre se leva, et les