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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lui en demandait la source et les témoignages, quand on disait à ses idées mystiques : « Qui êtes-vous ? d’où êtes-vous ? » elle se contentait, après les premiers mots, de faire un geste vers Empeytas qui répondait : « Je vous expliquerai cela ; » et le vent de l’inspiration tournait, et de l’explication, il n’en était jamais question davantage.

Dans les résultats et les actions de la vie, cette vacillation se retrouvait. Elle eût peut-être sauvé Labédoyère, si elle avait obéi à une seule pensée. Mais des suggestions diverses se succédaient près d’elle ; l’inspiration variait au gré de la dernière personne qu’elle voyait, et l’une de ces personnes, hostile à Labédoyère, avait grand soin de ne la quitter que peu d’instans avant l’heure de l’empereur Alexandre, lequel trouvait la bonne inspiration clémente toute combattue et refroidie.

Sa sensibilité, son imagination, non retenues, se donnaient carrière. Ses illusions sur les choses de fait étaient extrêmes, et souvent piquantes ; elle les avait eues faciles de tout temps. Un jour, en 1815, à quelqu’un qui la venait voir dans la soirée à l’heure de sa prière, elle disait : « De grandes œuvres s’accomplissent ; tout Paris jeûne… » Et cet ami, qui sortait du Palais-Royal où il avait vu tout le monde dîner, ne put la détromper comme il aurait voulu. Ce trait est bien de celle qui, femme du monde, s’était figuré volontiers que Gustave ou quelque autre était mort d’amour pour elle.

On aime à rechercher quelles furent, à cette époque de 1815, les relations de Mme de Krüdner avec quelques personnes célèbres, dont l’ame devait, par plus d’un point, rencontrer la sienne. Mme de Staël goûtait Mme de Krüdner auteur de Valérie, mais elle était d’un esprit politique et historique trop prononcé pour entrer dans son exaltation prophétique, et elle en souriait plutôt. Benjamin Constant, lui, n’en souriait pas. Il vit beaucoup Mme de Krüdner en 1815 ; il trouvait près d’elle consolation dans ses crises, et aliment pour toute une partie de son ame. On sait quelles furent alors les vicissitudes politiques de l’illustre publiciste ; ses sentimens religieux n’étaient pas moins agités, et, à cette limite extrême de la jeunesse, revenant à la charge en lui, ils livraient comme un dernier combat. D’autres troubles secrets s’y joignaient, et formaient un autre dernier orage. C’est près de Mme de Krüdner qu’il allait, durant des heures, chercher quelque repos, partager quelque prière, Adolphe toujours le même, près de Valérie régénérée. Une bienveillance précieuse nous permet de reproduire quelques lignes qui peignent cette situation intérieure : « J’ai vu hier Mme de Krüdner, écrivait Benjamin Constant, d’abord