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fauts. Ainsi la voix de Mme Stoltz, sonore, expressive et puissante d’ailleurs, ne sait pas dominer, je ne dirai point un finale, mais le moindre ensemble. D’où vient cela ? ce n’est pourtant pas la vibration aiguë qui lui manque, comme à Duprez ; il y a donc là quelque vice de méthode que le temps et des études persévérantes doivent corriger. Duprez et Mme Stoltz finiront par s’entendre à merveille ; le système, aujourd’hui aboli, de déclamation lyrique où s’est fourvoyée Mlle Falcon, ne conviendra jamais, quoi qu’on dise, aux allures simples et calmes du grand chanteur ; Mme Stoltz, au contraire, n’a pas le moins du monde l’air de vouloir représenter une école. Elle aura bientôt fait bon marché de ses gestes exagérés qu’elle nous apporte de province, et dès-lors il restera en elle de quoi faire un jour une grande cantatrice, une voix de soprano du timbre le plus rare, et une ame énergique et fière capable de sentir et de rendre les intentions du maître : avec des élémens pareils et le voisinage de Duprez, Mme Stoltz n’a qu’à vouloir. — Il en est pour Duprez du rôle du bonhomme Éléazar, comme il en sera de tous les rôles du répertoire de Nourrit, c’est-à-dire qu’il trouve des effets sublimes là où nul encore n’en avait soupçonné, et qu’en revanche il échoue en certains endroits véhémens et rapides, où la voix métallique de Nourrit tintait avec bonheur, dans la strette de la cavatine du quatrième acte, par exemple. Ce n’est pas l’affaire de cette voix large et puissante, qui se comptait surtout dans les mouvemens tempérés, de saisir la note d’un bond et de la porter haut comme faisait Nourrit. En somme, le caractère du vieux juif demeure une création de Nourrit, et le véritable triomphe de Duprez reste toujours Guillaume Tell, parce que Duprez est surtout un grand chanteur, et qu’entre tous les opéras du répertoire, Guillaume Tell est surtout un grand chef-d’œuvre. Puisque l’Opéra s’occupe de réforme, il devrait un peu songer à M. Levasseur, qui demande le repos et les doux loisirs de la campagne avec les plus tristes élans d’une voix fatiguée et déjà rauque. M. Levasseur ferait bien de se retirer aux champs pour quelques mois, et de chercher à réparer, dans un silence absolu, les brèches que le temps a faites à sa voix. Si la voix de M. Levasseur s’écroule, celle de Mme Dorus se relève et gagne en puissance, sans rien perdre de son agilité précieuse. Dernièrement, la reprise de Guillaume Tell a donné à Mme Dorus l’occasion de conquérir les plus vives sympathies du public, et depuis, chaque épreuve qu’elle tente lui réussit à souhait. On dit que Mme Dorus quitte l’Opéra, sans doute pour faire placé à Mlle Nau, ou à d’autres qui avancent d’un pas si ferme dans la carrière. À moins que l’Opéra ne tienne en réserve quelque sujet mystérieux destiné à soutenir son répertoire, il est impossible qu’on songe sérieusement à se séparer de Mme Dorus, la seule femme, après tout, qui puisse chanter Guillaume Tell et le Comte Ory, la seule qui ne fasse pas défaut à Duprez dans un duo où l’expression musicale l’emporte sur la pantomime.

Il semble cependant qu’il serait temps de laisser reposer un peu la Juive. Voilà bien des débuts qui se font dans la Juive. Les beautés profondes de cette imposante musique commencent à lasser un peu l’admiration du public. M. Halévy, qui exerce sur l’administration de l’Opéra une si haute influence, devrait songer un peu à varier le répertoire. N’y aurait-il donc pas moyen de remettre à la scène la Tentation ? Mlle Elssler jouerait le personnage de Miranda ; quant à Duprez, il serait facile de lui tailler en plein drap