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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

disposé pour eux, qu’il sentait combien il lui était impossible de ne pas les aimer. Il ne faut pas croire qu’après la scène de la basilique Sébastien se fût réconcilié avec la mosaïque. Il était toujours acharné contre ce genre de travail et contre ceux qui s’y adonnaient. S’il avait subi, malgré lui, la puissance que les grandes choses exercent sur les ames d’artiste ; s’il avait pressé ses enfans sur sa poitrine et versé des larmes d’attendrissement, il n’avait pour cela renoncé à aucun de ses préjugés sur la prééminence de certaines branches de l’art : l’eût-il voulu, il n’eût pas été le maître d’abandonner, à la veille de mourir, les idées obstinées de toute sa vie. La seule chose qui le consolât était l’espoir de voir Francesco renoncer un jour à ce vil métier, et retourner à son chevalet. Dans le dessein de l’y exhorter de nouveau, il se rendit à la basilique, croyant l’y trouver occupé à quelque autre coupole ; mais il trouva la basilique tendue de noir ; des chants lugubres faisaient retentir les voûtes assombries. Les cierges, luttant avec les derniers rayons du jour, jetaient une lueur mate et rouge plus affreuse que les ténèbres. On rendait les derniers honneurs à deux sénateurs morts de la peste. Leurs catafalques étaient sous le portique ; on se hâtait, et il était aisé de voir que les prêtres remplissaient leur saint office avec terreur et précipitation. Le vieux Zuccato frémit de la tête aux pieds en voyant ces deux cercueils. Il ne se rassura qu’en apprenant les noms des défunts magistrats. Alors il sortit de l’église et courut à l’atelier de Valerio, à San-Filippo. Mais là on lui dit que ni Valerio, ni Francesco n’avaient paru depuis le jour de la Saint-Marc, et il chercha, sans plus de succès, dans tous les endroits où ils avaient coutume de se rendre. Enfin, dévoré d’inquiétude, il parvint à trouver le triste Ceccato, et d’après les sombres conjectures de celui-ci, il pensa que ses fils étaient morts aux plombs, de chagrin ou de maladie. Il resta quelques instans immobile, absorbé, pâle comme un linceul. Enfin il prit son parti, et sans adresser un mot à Ceccato ni à sa famille désolée, il se rendit chez le procurateur-caissier. Il était loin d’accuser ce magistrat de l’injuste arrestation de ses fils. Naturellement patient, il aurait cru manquer au respect et à l’amour des lois, en soupçonnant un magistrat d’erreur ou de prévention. Mécontent de ses fils et prêt à les accuser de paresse ou d’insolence, selon la décision du procurateur, il voulait savoir à tout prix du moins ce qu’ils étaient devenus. Il aborda donc humblement le gros caissier, qui, sans doute pour se préserver de la peste, était plus que jamais occupé de son propre bien-être. Il le