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tout, même à Constantinople… S’il vous était impossible de nous faire passer ces secours, il faudrait faire la paix, car il faut calculer que d’ici au mois de messidor, nous perdrons encore six mille hommes… » Quelle précision ! quelle simplicité dans la grandeur ! Donnez quinze mille hommes à cet émule d’Alexandre, il va à Constantinople, et il en frustre l’ambition des successeurs de Catherine.

Le livre de M. le duc de Raguse prendra rang parmi les voyages qui servent de documens à l’homme politique, à l’historien, au philosophe. Sans doute cet itinéraire a beaucoup d’imperfections et de lacunes ; il n’y faut pas chercher cette ampleur de détails qui caractérise le voyage de Chardin dans la Perse, de ce marchand intelligent dont les descriptions charmaient si fort Montesquieu. Il serait injuste de demander aussi au maréchal l’érudition que Niebuhr, le père de l’historien de Rome, a montrée dans sa description de l’Arabie, non plus que l’éloquence exacte et enchanteresse de M. de Châteaubriand dans son Itinéraire de Jérusalem. Mais le Voyage du duc de Raguse, malgré ses défauts et ses omissions, malgré les préjugés de l’auteur qui appartient à l’école de la politique absolutiste, a une valeur et une utilité qui le séparent nettement des fades frivolités des touristes vulgaires.

La France peut prendre ce Voyage comme une enquête faite à l’étranger sur des sujets importans. Trois faits de premier ordre y sont mis dans une entière évidence : la position formidable de la Russie qui attend son heure et sa convenance pour s’incorporer Constantinople ; l’extrême décadence des Turcs et de l’empire ottoman ; le réveil de l’Égypte, de la Syrie et de la race arabe. Telles sont les données sur lesquelles doit opérer la politique française.

Il ne faut apporter dans les affaires ni précipitation, ni désespoir. Les périls qui menacent l’empire ottoman, loin d’inspirer à la France de la négligence et du dégoût, doivent l’exciter au contraire à lutter par tous les moyens contre l’ingratitude de la situation. Il importe que l’empire turc vive le plus long-temps possible. Les efforts de Mahmoud, les soins qu’il se donne à parcourir son empire[1], son ambition de le régénérer par les principes de la tolérance et par les ressources de notre civilisation, méritent les suffrages de la France, quels qu’en soient le succès définitif ; nous devons continuer jusqu’au dernier moment la politique de François Ier, et tout faire pour que la ville de Constantin, dont s’empara Mahomet II, onze cent vingt-

  1. Moniteur ottoman du 15 juillet 1837.