Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
PUBLICISTES DE LA FRANCE.

plus de foi en sa personne qu’en ses idées, et où il avait plutôt besoin d’être appuyé et exalté que refroidi, je n’ai pas été dans tous les secrets. Ce que j’en pourrais dire de la meilleure foi du monde serait sans autorité et soulèverait peut-être de justes réclamations dont j’aurais fait naître innocemment le scandale. Il n’y aura rien dans ces pages qui n’ait été à ma parfaite connaissance, ni où je puisse être contredit pour défaut d’exactitude. Si ce n’est pas là tout Carrel, on ne l’admirera que plus pour ce que j’aurai omis d’en dire ; et là où j’aurai pu le mal comprendre, l’important pour moi est qu’on voie que je ne l’ai pas médiocrement aimé.

Je prolonge à regret ces préliminaires pour déclarer à qui j’adresse principalement cet écrit. Ce n’est ni à ceux de ses amis qui ne l’ont été que de l’homme politique, ni à ceux de ses ennemis, s’il lui en reste, qui ont le courage de l’être encore de sa noble mémoire. Pour les uns comme pour les autres, Carrel a été l’homme dont ils ont eu besoin, ceux-ci pour s’en servir et en faire honneur à leur cause, ceux-là pour justifier des habitudes de prévention opiniâtre contre les adversaires ou les ennemis de la leur. Les amis politiques sont durs et exigeans ; ils n’admirent dans leurs chefs que les qualités d’un instrument. Il ne faut donc pas leur demander de comprendre ce qu’ils ne pardonnent pas, c’est-à-dire les qualités par où leurs chefs valent mieux qu’eux, et par où ils leur échappent. Quant aux ennemis, ils seraient plus volontiers généreux que justes, et ils consentiraient plutôt à pardonner qu’à comprendre. Sachant d’avance combien il me serait impossible de leur faire accepter le Carrel que j’ai connu, je me console d’avance de la critique qui pourra m’être faite des deux côtés, d’avoir mieux su l’admirer que le juger.

J’écris ces pages pour un grand nombre d’esprits éclairés et impartiaux, qui, dans les positions les plus diverses, les uns sans être engagés dans les idées de Carrel, les autres professant même une croyance différente, l’ont aimé et admiré pour l’honneur qu’un tel homme faisait à son pays. Beaucoup voyaient en lui un espoir, une sorte de ressource pour des évènemens possibles ; tous y voyaient une lumière qui éclairait toutes les questions comme toutes les situations. Quoi que je dise de Carrel, à quelque vivacité de sentiment que je me laisse entraîner, je ne crains pas d’être pour ces esprits-là ni exagéré ni dans l’illusion.