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DU POUVOIR EN FRANCE.

d’avoir à adresser un tel reproche à l’homme dont l’habileté pratique a élevé si haut le talent et la fortune ; comment cependant l’épargner à l’orateur qui, dans cette grande discussion, empruntant ses argumens aux livres des publicistes, au lieu de les puiser dans cette judicieuse appréciation du temps présent, qu’il possède à un si éminent degré, traita la thèse de l’hérédité sous la monarchie de 1830, comme on eût pu le faire de l’autre côté de la Manche, avant la réforme et O’Connell[1] ?

Deux combinaisons sérieuses se présentaient seules pour l’organisation d’une seconde chambre : le choix libre et spontané de la couronne, et un mode électif plus ou moins mitigé par l’intervention de la royauté. Le trône gagnait en influence à la première combinaison, la pairie eût gagné en consistance à la seconde. L’une écartait des pas du pouvoir tous les obstacles, mais sans lui offrir de points d’appui ; l’autre lui eût créé des difficultés, mais pouvait, dans l’occasion, lui prêter une grande force. La première était préférable en s’en tenant au présent ; la seconde eût pu se défendre par des considérations d’avenir.

La chambre ne parut pas saisir le véritable caractère de la question qu’elle était appelée à résoudre, et le ministère suivit la chambre dans ses hésitations et ses incohérences. Aux uns, il fit la concession du principe ; aux autres, celle du fait ; il réclama la nomination des pairs par la couronne, et se laissa imposer les catégories. Il parla pour l’hérédité en en proposant lui-même la suppression, affectant d’imprimer au nouvel article 23 de la Charte un caractère provisoire. Il eut du reste le bon esprit de ne pas attacher une véritable importance au rejet de la disposition destinée à en autoriser la révision. Ses réserves faites vis-à-vis d’intérêts respectables, il reprit sa position au sein de la chambre élective, comprenant bien que, s’il y avait des ménagemens à garder envers tous les pouvoirs constitués, il n’y avait d’inspiration à demander qu’à celui-là.

Jamais personnage politique ne fut, à un aussi haut point que Casimir Périer, l’homme de la situation, par ses qualités et peut-être par ses défauts. Il la comprit d’instinct plutôt que de réflexion, et

  1. « Tous les gouvernemens sont incomplets à côté du gouvernement de l’Angleterre. La république est une ébauche ; elle laisse une question à résoudre, celle de la royauté. La démocratie est une ébauche, elle laisse aussi une question à résoudre, celle de l’aristocratie.

    « La monarchie représentative n’en laisse aucune ; elle est complète. Quant à ses effets, comme gouvernement, elle a l’unité de la royauté, l’esprit de suite de l’aristocratie, la vie et l’énergie de la démocratie. C’est le gouvernement que je vous demande pour mon pays. »

    (M. Thiers. Chambre des députés, séance du 3 octobre 1831.)