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repoussemens dont ni ceux qui les partagent ni ceux qui les inspirent n’ont certainement pas tout le secret. C’est la date de ces paroles qui en établit la valeur ; elles reflètent sur la carrière politique de l’homme le plus considérable de cette école une harmonie incontestable, en même temps qu’elles établissent et résument les résistances soulevées par le système. On va comprendre comment il voulait le pouvoir lorsqu’il était sans espérance de l’atteindre, avec quelle confiante perspicacité sa vue s’arrêtait sur les obstacles qu’il aborda plus tard sans étonnement et sans émotion, mais aussi sans être assez fort pour leur résister.

« Que faites-vous, s’écriait M. Guizot, vous qui proclamez que le pouvoir n’est qu’un serviteur à gages, avec qui il faut traiter au rabais, qu’on doit réduire au degré le plus bas, en activité comme en salaire ? Ne voyez-vous pas que vous méconnaissez absolument la dignité de sa nature et de ses relations avec les peuples ? Le bel hommage à rendre à une nation que de lui dire qu’elle obéit à des subalternes, et reçoit la loi de ses commis ! ou bien les nations seraient-elles formées d’êtres d’un ordre supérieur, qui, pour vaquer librement à des travaux plus sublimes, auraient, sous le nom de gouvernement, un certain nombre de créatures inférieures, chargées de veiller pour eux aux soins matériels de la vie ?

« Les esprits supérieurs ne se résignent point à se laisser ainsi déposséder, humilier. Ils sentent le pouvoir en eux et s’indignent de la condition où l’on prétend les réduire. Ils prennent en courroux cette insolence de la multitude qui ne veut voir dans les magistrats que ses sujets, et prétend que l’autorité s’avilisse devant elle avant de lui commander. Ils sont trop fiers pour accepter ainsi l’empire avec l’insulte ; et comme ils ont l’expérience des hommes, comme ils savent tous les chemins par où on peut les envahir, ils appliquent leur supériorité tout entière à les dominer absolument. On dirait qu’ils exercent sur la société une vengeance, qu’ils se sont dit dans leur orgueil offensé : Puisqu’il faut que le peuple ou le pouvoir soit esclave, ce sera le peuple, et non le pouvoir ; car le pouvoir, c’est moi.

« Les contraires ne se laissent point accorder ; on ne peut commander et suivre, gouverner et obéir, agir en chef et penser en serviteur. Quand le pouvoir n’a plus le sentiment de son droit, quand la société n’a plus celui du droit du pouvoir, la société et lui se sont séparés On ne sort point de cet état que la doctrine de la condition servile du pouvoir ne soit ruinée. Il faut que toutes choses retournent à la vérité, que les relations légitimes se rétablissent entre