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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

public, et on gardait ses sentimens aux vertus publiques. Mais le concours efficace avait peu à peu cessé. Ainsi s’explique en partie cette dissolution du faisceau du National en 1833. La calomnie seule, j’ose le dire, pourrait l’attribuer, soit aux dangers que Carrel eut à courir, soit au scrupule de garder une responsabilité, même indirecte, dans une opinion dont il était trop évidemment la personnification et l’unique organe.

Pourquoi me serais-je tu sur ce point ? Est-ce donc une apologie de Carrel que j’ai voulu faire ? Non. Une apologie serait un aveu qu’il y a quelque chose à défendre dans sa vie. Je ne le loue pas, je l’apprécie. C’est en sa présence que j’écris ces lignes ; car telle est la force de mes souvenirs, que mon œil intérieur le voit devant moi, devinant mes pensées avant qu’elles soient sous ma plume, et approuvant que je dise de lui mort ce que je lui ai dit vivant. Rien ne lui plaisait plus que de se voir pénétré, soit qu’il fût certain qu’on ne découvrirait en lui que de bons et nobles penchans, soit qu’il fût flatté d’être pris pour sujet d’étude. Bien loin de s’en blesser, peut-être même était-il trop chatouillé qu’on lui trouvât ce trait commun à tous les hommes supérieurs, qui est de regarder si loin devant eux, qu’ils oublient où ils marchent, et que, pour atteindre à ceux qui sont éloignés, ils foulent aux pieds ceux qui sont près.

Le trait distinctif du caractère de Carrel était la générosité. De quelque manière qu’on entende ce mot, dont le vague même fait la beauté, la vie de Carrel offre de quoi en appliquer toutes les nuances. Soit qu’il signifie l’entraînement d’un homme qui se dévoue, soit qu’il veuille dire simplement la libéralité, il ne convient à personne mieux qu’à lui. Toutes les actions de sa vie sont marquées de la première sorte de générosité. La plupart de ses fautes ne sont que de la générosité où il manquait du calcul. C’est par là qu’il était populaire en France, où son courage, mieux compris que son talent, lui avait fait plus de partisans que ses écrits. C’est par trop de générosité qu’il joua sa vie une première fois dans le duel légitimiste ; c’est par trop de générosité qu’il est mort.

Quant à la libéralité, personne n’en eut plus que lui, ni d’une meilleure sorte. Je n’en diminuerai pas le mérite en disant qu’il y entrait je ne sais quelle imprévoyance qui n’était que de la foi dans sa fortune. On eût dit qu’il chargeait l’avenir de liquider sa générosité. Il ne savait ni refuser ni donner peu. Exposé par sa position à d’incessantes demandes, il puisait souvent dans la bourse de ses amis pour soulager des malheurs qu’il ne suspectait ni ne recherchait jamais.