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REVUE. — CHRONIQUE.

trappeurs aux possessions espagnoles de la Californie. Si on lit après cet épisode le chapitre intitulé : Voyage dans un bateau de buffle, on aura une connaissance exacte de la vie aventureuse du trappeur et de ses penchans effrénés.

La conclusion du livre annonce toutefois une modification prochaine dans la vie de ces sauvages montagnards. Le commerce des fourrures est, suivant l’auteur, d’un caractère essentiellement passager. « Les bandes rivales des trappeurs, dit M. Irving, ont bientôt épuisé les cours d’eau, surtout lorsque la concurrence les pousse à une destruction inutile du castor. Quand il n’y aura plus d’animaux à fourrure, la scène changera totalement. Le trappeur pimpant et son coursier, dans leur costume sauvage, couvert de grelots et de colifichets ; le guerrier peint et panaché, toujours aux aguets ; la caravane du marchand serpentant en longue file dans la plaine déserte avec les Indiens embusqués sur son passage ; la chasse aux buffles, le camp de chasse, le gala au milieu du danger, l’attaque nocturne, l’alerte, l’escarmouche au milieu des rochers, tout ce roman de la vie sauvage qui existe encore dans les montagnes, n’existera plus que dans les légendes de la frontière et ressemblera aux fictions de la chevalerie ou de la féerie. »

Ce sont là de tristes prévisions ; mais on se consolerait aisément si l’on devait croire que la civilisation gagnât quelque chose à cette révolution inévitable. La question est résolue par M. Irving d’une manière négative. Il représente les solitudes de l’ouest comme incapables de culture. « Là où rien ne saurait tenter la cupidité du blanc, il sortira, dit-il, avec le temps, un mélange de tribus diverses et de blancs de toutes les nations, une race de montagnards pareils aux Tartares du Caucase… Ces hommes deviendront un jour, sur l’un et l’autre versant des montagnes, le fléau de la frontière civilisée. »

M. Irving ne révèle toutefois le mal qu’en indiquant le remède, et l’établissement de postes militaires dans ces pays sauvages lui paraît un moyen sûr de mettre fin aux violences et aux déprédations des Indiens.


Voyages en Corse. — Les Voyages de M. Valéry en Corse, à l’île d’Elbe et en Sardaigne, se recommandent par de précieuses qualités d’observation et de conscience. « J’ai essayé, dit l’auteur dans sa préface, de peindre une Italie nouvelle, et, si j’ose le dire, inconnue… Au lieu de tableaux et de statues, j’avais en Corse des actions et des hommes. » Ce peu de mots explique le livre. M. Valéry entre en Corse par Bastia, l’ancienne capitale ; il parcourt successivement les riantes vallées du Cap-Corse, la fertile Balagne, cette contrée la plus riche, selon lui, et la plus civilisée de l’île. Après la Balagne, il traverse les forêts célèbres d’Aytone et de Valdoniello, s’arrête à Ajaccio, Bonifacio, Sartène, et revient à Bastia par la magnifique plaine d’Aléria. La description des villes principales occupe plusieurs chapitres, où l’érudition historique se mêle, sans affectation, aux souvenirs du voyageur. Ainsi, à propos de Bastia, M. Valéry consacre plusieurs chapitres à l’appréciation de quelques écrivains peu connus de la Corse, tels que Petrus Cyrneus, Filippini, Vincent Giubega, dont il cite un sonnet plein de grace. Corte lui rappelle le séjour du général Paoli et les grandes actions de Gaffori, le Brutus de la Corse. On voit que M. Valéry a recueilli soigneusement les traditions du pays qu’il visitait ; il les cite à pro-