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LES DEUX MAÎTRESSES.

dire. Eh ! mon Dieu, oui ; ce n’est pas là un Romain, mais nous ne sommes pas ici à Rome.

Nous sommes à Paris, madame, et il est question de deux amours. Heureusement pour vous, le portrait de mes héroïnes sera plus vite fait que celui de mon héros. Tournez la page, elles vont entrer en scène.

ii.

Je vous ai dit que, de ces deux dames, l’une était riche et l’autre pauvre. Vous devinez déjà par quelle raison elles plurent toutes deux à Valentin. Je crois vous avoir dit aussi que l’une était mariée et l’autre veuve. La marquise de Parnes (c’est la mariée) était fille et femme de marquis. Ce qui vaut mieux, elle était fort riche ; ce qui vaut mieux encore, elle était fort libre, son mari étant en Hollande pour affaires. Elle n’avait pas vingt-cinq ans, elle se trouvait reine d’un petit royaume au fond de la Chaussée-d’Antin. Ce royaume consistait en un petit hôtel, bâti avec un goût parfait entre une grande cour et un beau jardin. C’était la dernière folie du défunt beau-père, grand seigneur un peu libertin, et la maison, à dire vrai, se ressentait des goûts de son ancien maître ; elle ressemblait plutôt à ce qu’on appelait jadis une maison à parties qu’à la retraite d’une jeune femme condamnée au repos par l’absence de l’époux. Un pavillon rond, séparé de l’hôtel, occupait le milieu du jardin. Ce pavillon, qui n’avait qu’un rez-de-chaussée, n’avait aussi qu’une seule pièce, et n’était qu’un immense boudoir meublé avec un luxe raffiné. Mme de Parnes, qui habitait l’hôtel et passait pour fort sage, n’allait point, disait-on, au pavillon. On y voyait pourtant quelquefois de la lumière. Compagnie excellente, dîners à l’avenant, fringans équipages, nombreux domestiques, en un mot, grand bruit de bon ton, voilà la maison de la marquise. D’ailleurs, une éducation achevée lui avait donné mille talens ; avec tout ce qu’il faut pour plaire sans esprit, elle trouvait moyen d’en avoir ; une indispensable tante la menait partout ; quand on parlait de son mari, elle disait qu’il allait revenir ; personne ne pensait à médire d’elle.

Mme Delaunay (c’est la veuve) avait perdu son mari fort jeune ; elle vivait avec sa mère, d’une modique pension obtenue à grand’peine, et à grand’peine suffisante. C’était à un troisième étage qu’il fallait monter, rue du Plat-d’Étain, pour la trouver brodant à sa fenêtre ; c’était tout ce qu’elle savait faire ; son éducation, vous le voyez, avait