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REVUE DES DEUX MONDES.

iv.

C’était chez un ancien notaire, nommé M. des Andelys, qu’avait lieu la petite réunion où Valentin devait rencontrer Mme Delaunay. Il l’y trouva, comme il l’espérait, plus belle et plus coquette que jamais. Malgré la chaîne et les boucles d’oreilles, sa toilette était presque simple ; un seul nœud de ruban de couleur changeante accompagnait son joli visage, et un autre de pareille nuance serrait sa taille souple et mignonne. J’ai dit qu’elle était fort petite, brune, et qu’elle avait de grands yeux ; elle était aussi un peu maigre, et différait en cela de Mme de Parnes, dont l’embonpoint montrait les plus belles formes enveloppées d’un réseau d’albâtre. Pour me servir d’une expression d’atelier, qui rendra ici ma pensée, l’ensemble de Mme Delaunay était bien fondu, c’est-à-dire que rien ne tranchait en elle ; ses cheveux n’étaient pas très noirs et son teint n’était pas très blanc ; elle avait l’air d’une petite créole ; Mme de Parnes, au contraire, était comme peinte ; une légère pourpre colorait ses joues et ravivait ses yeux étincelans ; rien n’était plus admirable que ses épais cheveux noirs couronnant ses belles épaules. Mais je vois que je fais comme mon héros ; je pense à l’une quand il faut parler de l’autre ; souvenons-nous que la marquise n’allait point à des soirées de notaire.

Quand Valentin pria la veuve de lui accorder une contredanse, un je suis engagée bien sec fut toute la réponse qu’il obtint. Notre étourdi, qui s’y attendait, feignit de n’avoir pas entendu, et répondit : Je vous remercie. Il fit quelques pas là-dessus, et Mme Delaunay courut après lui pour lui dire qu’il se trompait. En ce cas, demanda-t-il aussitôt, quelle contredanse me donnerez-vous ? Elle rougit, et n’osant refuser, feuilletait un petit livret de bal où ses danseurs étaient inscrits : « Ce livret me trompe, dit-elle en hésitant ; il y a une quantité de noms que je n’ai pas encore effacés, et qui me troublent la mémoire. » C’était bien le cas de tirer le portefeuille à portrait ; Valentin n’y manqua pas : « Tenez, dit-il, écrivez mon nom sur la première page de cet album. Il me sera plus cher encore. » Mme Delaunay se reconnut cette fois ; elle prit le portefeuille, regarda son portrait, et écrivit à la première page le nom de Valentin ; après quoi, en lui rendant le portefeuille, elle lui dit assez tristement : « Il faut que je vous parle, j’ai deux mots nécessaires à vous dire ; mais je ne puis pas danser avec vous. »