Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
285
LES DEUX MAÎTRESSES.

par la fenêtre d’une duchesse qui demeurait au cinquième étage, le tout par amour et sans se faire de mal, etc., etc.

Mme Delaunay avait trop de bon sens pour écouter ces niaiseries ; mais elle eût peut-être mieux fait de les écouter que d’en entendre quelques mots au hasard. Tout dépend souvent, ici-bas, du pied sur lequel on se présente. Pour parler comme les écoliers, Valentin avait l’avantage sur Mme Delaunay. Pour lui reprocher d’être venu, elle attendait qu’il lui en demandât pardon. Il s’en garda bien, comme vous pensez. S’il eût été ce qu’elle le croyait, c’est-à-dire un homme à bonnes fortunes, il n’eût peut-être pas réussi près d’elle, car elle l’eût senti alors trop habile et trop sûr de lui ; mais il tremblait en la touchant, et cette preuve d’amour, jointe à un peu de crainte, troublait à la fois la tête et le cœur de la jeune femme. Il n’était pas question, dans tout cela, de la salle à manger du notaire, ils semblaient tous deux l’avoir oubliée ; mais quand arriva le signal du galop, et que Valentin vint inviter la veuve, il fallut bien s’en souvenir.

Il m’a assuré que de sa vie il n’avait vu un plus beau visage que celui de Mme Delaunay quand il lui fit cette invitation. Son front, ses joues, se couvrirent de rougeur ; tout le sang qu’elle avait au cœur reflua autour de ses grands yeux noirs, comme pour en faire ressortir la flamme. Elle se souleva à demi, prête à accepter, et n’osant le faire ; un léger frisson fit trembler ses épaules, qui, cette fois, n’étaient pas nues. Valentin lui tenait la main ; il la pressa doucement dans la sienne comme pour lui dire : Ne craignez plus rien, je sens que vous m’aimez.

Avez-vous quelquefois réfléchi à la position d’une femme qui pardonne un baiser qu’on lui a dérobé ? Au moment où elle promet de l’oublier, c’est à peu près comme si elle l’accordait. Valentin osa faire à Mme Delaunay quelques reproches de sa colère ; il se plaignit de sa sévérité, de l’éloignement où elle l’avait tenu ; il en vint enfin, non sans hésiter, à lui parler d’un petit jardin situé derrière sa maison, lieu retiré, à l’ombrage épais, où nul œil indiscret ne pouvait pénétrer. Une fraîche cascade, par son murmure, y protégeait la causerie ; la solitude y protégeait l’amour. Nul bruit, nul témoin, nul danger. Parler d’un lieu pareil au milieu du monde, au son de la musique, dans le tourbillon d’une fête, à une jeune femme qui vous écoute, qui n’accepte ni ne refuse, mais qui laisse dire et qui sourit… ah ! madame, parler ainsi d’un lieu pareil, c’est peut-être plus doux que d’y être !