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tôt ramassé, et ce fut vainement qu’il revint dix fois d’une borne à une autre. La marquise à sa fenêtre riait toujours en le regardant faire. Fatigué enfin, et un peu honteux, il s’éloigna sans lever la tête, feignant de ne pas s’apercevoir qu’on l’eût observé. Au coin de la rue pourtant, il se retourna, et vit Mme de Parnes qui ne riait plus, et qui le suivait des yeux.

Il continua sa route sans savoir où il allait, et prit machinalement le chemin de la rue du Plat-d’Étain. La soirée était belle et le ciel pur. La veuve était aussi à sa fenêtre ; elle avait passé une triste journée.

— J’ai besoin d’être rassurée, lui dit-elle dès qu’il fut entré. À qui appartient un mouchoir que vous avez laissé chez moi ?

Il y a des gens qui savent tromper et qui ne savent pas mentir. À cette question, Valentin se troubla trop évidemment pour qu’il fût possible de s’y méprendre, et sans attendre qu’il répondît :

— Écoutez-moi, dit Mme Delaunay. Vous savez maintenant que je vous aime. Vous connaissez beaucoup de monde, et je ne vois personne ; il m’est aussi impossible de savoir ce que vous faites qu’il vous serait facile d’y voir clair dans mes moindres actions, s’il vous en prenait fantaisie. Vous pouvez me tromper aisément et impunément, puisque je ne peux ni vous surveiller, ni cesser de vous aimer ; souvenez-vous, je vous en supplie, de ce que je vais vous dire : tout se sait tôt ou tard, et croyez-moi, c’est une triste chose.

Valentin voulait l’interrompre ; elle lui prit la main et continua :

— Je ne dis pas assez, ce n’est pas une triste chose, mais la plus triste qu’il y ait au monde ; si rien n’est plus doux que le souvenir du bonheur, rien n’est plus affreux que de s’apercevoir que le bonheur passé était un mensonge. Avez-vous jamais pensé à ce que ce peut être que de haïr ceux qu’on a aimés ? Concevez-vous rien de pire ? Réfléchissez à cela, je vous en conjure. Ceux qui trouvent plaisir à tromper les autres en tirent ordinairement vanité ; ils s’imaginent avoir par là quelque supériorité sur leurs dupes ; elle est bien fugitive, et à quoi mène-t-elle ? Rien n’est si aisé que le mal. Un homme de votre âge peut tromper sa maîtresse, seulement pour passer le temps ; mais le temps s’écoule en effet, la vérité vient, et que reste-t-il ? Une pauvre créature abusée s’est crue aimée, heureuse, elle a fait de vous son bien unique ; pensez à ce qui lui arrive s’il faut qu’elle ait horreur de vous !

La simplicité de ce langage avait ému Valentin jusqu’au fond du cœur :