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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

s’il était vrai que le public français prît un affreux plaisir au duel, et vendît la considération au prix du sang, il était toujours temps pour un homme public de lui donner ce spectacle de gladiateurs.

Carrel appréciait ces raisons. Il eût fort approuvé qu’un autre en fît l’épreuve en sa personne. Mais pour lui, l’entraînement était trop fort. Soit qu’il se crût obligé, comme homme de parti, à ne jamais reculer, quand il ne s’agissait que de sa vie ; soit cette force de l’habitude qui se trahissait en lui par le dépit d’être plus brave qu’adroit dans ses duels ; soit, sur la fin de sa vie, un vague et superstitieux désir d’éprouver si la fortune le réservait manifestement pour de grandes choses, il offrait sa poitrine à la première épée, et ses amis apprenaient le duel avant d’avoir connu l’offense. Puisse du moins sa mort nous valoir ce misérable amendement dans la jurisprudence du duel ! Puisse-t-elle protéger désormais contre des provocations ou inégales ou intéressées, d’autres vies utiles au pays !

Ce que j’ai dit de ce malaise d’esprit et de cette promptitude à s’offenser que le succès avait adoucis peu à peu, jusque dans ce noble défaut de jouer son sang contre tout joueur, n’est pas moins vrai de ses manières, où le changement avait été aussi sensible. Avec un nouveau caractère, Carrel avait pris comme un extérieur nouveau. Il n’y eut pas jusqu’à son visage qui ne s’épanouît et ne s’illuminât sous ce doux rayon de gloire qui attira un moment sur lui tous les regards. J’ai là-dessus des souvenirs bien présens.

La première fois que je vis Carrel, son nom commençait à peine à se répandre. Quoique, parmi ses amis, les plus sagaces ou les plus désintéressés n’eussent plus de doute sur son mérite, il luttait encore pour trouver sa place, et s’agitait, notamment depuis la fondation du National de 1830, au milieu d’attributions incertaines et d’amitiés orageuses. Je ne le connaissais que par ses écrits alors très rares et peu populaires ; et, n’ayant point été sur son chemin ni dans ses relations habituelles, je n’avais aucun titre pour attirer son attention. Je ne l’en observai que plus librement. Mon impression ne fut pas médiocre. Je fus d’abord frappé de la force qui éclatait sur son visage original et heurté, et de la résolution un peu farouche empreinte dans toute sa personne. Plus d’attention me fit bientôt découvrir sous cette force une extrême finesse, marquée par la forme même de ses lèvres et par un regard où la douceur insinuante se montrait sous la fierté et l’inquiétude. Peut-être n’aurais-je pas été au-delà du premier aspect, si déjà une admiration vive pour quelques pages sorties de sa plume ne m’eût donné plus que de la curiosité pour