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avaient un profond dédain pour leur langue maternelle. Ils l’abandonnaient au peuple comme un idiome indigne d’eux, et le peuple n’était pas en état de la développer. Ainsi elle resta dans les langes de l’enfance, oubliée des savans, mais chérie de la foule ; elle murmura sous le portail de l’église de village, sous le toit du laboureur, les naïfs accens du Kœmpeviser ; mais les poètes du grand monde ne lui confièrent point leurs inspirations, et la science ne la prit pas pour interprète.

Au xviie siècle, Chrétien IV nomma tour à tour huit historiographes royaux, et pas un d’eux, dit un critique moderne, n’était en état d’écrire un livre d’histoire en danois. Pontanus et Meursius[1] écrivirent donc en latin. Hvitfeld, qui n’avait pas l’honneur d’appartenir au noble corps des historiographes privilégiés, rendit plus de services qu’eux tous par ses Annales[2]. C’était un homme très instruit et très modeste. Il écrivit, comme il le dit lui-même, simplici calamo, entraîné par un sentiment d’amour pour sa patrie, par le désir de la faire connaître et de la faire apprécier, plutôt que par l’espoir de s’acquérir un nom illustre. Son livre, dont Gram a fait ressortir le mérite, tout en indiquant quelques-unes des principales erreurs dans lesquelles l’auteur était tombé, peut être compté au nombre des ouvrages historiques les plus importans qui existent en Danemark. Comme chancelier du royaume, Hvitfeld avait sa libre entrée aux archives. Il a rassemblé, avec beaucoup de soin, des actes officiels, des pièces authentiques, et les a imprimés textuellement.

Tous les historiens danois du moyen-âge prirent Saxo pour guide et le suivirent dans ses théories. Il ne pouvait en être autrement tant qu’on n’essayait pas de remonter à la source à laquelle Saxo avait puisé, tant qu’on n’étudiait ni la langue, ni la littérature islandaise. Cette étude date du xviie siècle. Alors Clausen traduit en danois l’œuvre de Snorre ; alors Arngrim Johnson travaille à recueillir les documens historiques de l’Islande. Ole Worm étudie les anciens monumens danois, et pose les bases de l’archéologie du Nord. Bartholin écrit son livre sur les antiquités[3], et Torfesen soumet à une critique sévère les sagas ; il les compare l’une à l’autre, il en extrait le fait réel, le fait historique, et les classe d’après l’ordre chronologique. Plusieurs des faits qu’il établit comme certains ne sont que des hypothèses, mais des hypothèses soutenues par le raisonnement et basées sur des probabilités. Son histoire de Norvége et sa série des rois de Danemark[4] ont été

  1. Meursius était un étranger, un professeur de Leyde doué d’une grande érudition. Chrétien IV l’attira en Danemark, et le nomma professeur à Sorœ. Son livre parut en 1636. Historiœ danicœ libri quinque. Amsterdam, in-fo.
  2. Damnarkis Rigis krœnicke. La première édition parut à Copenhague de 1593 à 1604 en 10 vol. in-4o ; la seconde en 1652, 2 vol. in-fo.
  3. Thomæ Bartholini Antiquitates danicœ, 1 vol. in-4o, 1690.
  4. Historia rerum norvegicarum, Copenhague, 1711, 4 vol. in-fo, — Series dynasiarum et regum Daniœ, Copenhague, in-4o, 1702.