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du roi était grand ; il fallut obéir. Le conseil s’assembla. Le malheureux critique signa l’acte de rétractation qui lui était prescrit, et le prêtre superbe savoura tout à son aise le plaisir de la vengeance. Mais tout n’était pas fini. Il y avait alors à Copenhague un homme d’esprit et de savoir, Schlegel, qui raconta dans son journal[1], sous le voile de l’allégorie, cette comédie courtisanesque. Toute la ville en rit ; et comme Schlegel était étranger, et par-là même indépendant, le prédicateur de la cour n’obtint de lui ni amende honorable, ni rétractation.

Pendant que ces débats littéraires occupaient les professeurs de Copenhague, Langebek poursuivait ses travaux. Chaque jour était pour lui un jour de moisson. Il recueillait avec une patience merveilleuse, avec un zèle infatigable, tous les documens qui pouvaient servir à l’histoire de son pays. J’ai vu à Copenhague son prodigieux assemblage de matériaux. Je ne crois pas que jamais homme en ait fait un semblable. Son œuvre principale, celle à laquelle il revenait sans cesse, celle qu’il poursuivait avec amour et dévouement, c’est sa collection des écrivains danois du moyen-âge[2]. C’est un monument complet, un monument admirable qu’on ne saurait comparer qu’à la collection des historiens de France de dom Bouquet, et Langebek a fait cette grande œuvre à lui seul. Il a lui-même corrigé les épreuves des premiers volumes ; il a laissé en mourant les matériaux qui composent les autres. Cette collection renferme toutes les chartes, tous les diplômes ayant rapport à l’histoire de Danemark, toutes les annales de couvens, tous les fragmens de chroniques écrits au moyen-âge. Les plus anciens documens remontent au xie siècle. Il y en a plusieurs du xiie et un assez grand nombre du xiiie. En 1770, le premier volume des Scriptores était complètement rédigé, mais Langebek n’avait pas le moyen de le faire paraître. Suhm, qui ne reculait devant aucun sacrifice lorsqu’il s’agissait d’aider aux progrès de la science, voulait publier cet ouvrage à ses frais et en maintenir la propriété à l’auteur. Sur ces entrefaites, Langebek se maria. Par hasard, il épousa une femme riche, et put subvenir lui-même aux frais d’impression de son livre. Il publia les trois premiers volumes de 1772 à 1774. Le quatrième était presque achevé lorsqu’il mourut. Suhm le publia en 1776. Il publia le cinquième en 1783, le sixième en 1786, le septième en 1792. Le huitième, confié aux soins de MM. Werlauff et Engelstoff, a paru en 1834, et le neuvième, qui sera le dernier, doit paraître en 1839.

Suhm était riche, et il consacra sa fortune et sa vie à la science. Dès sa jeunesse, il avait manifesté une passion ardente pour l’étude. Il lisait tout ce qui lui tombait sous la main : histoire et romans, voyages et poésies. Plus tard, il s’appliqua spécialement à l’histoire de Danemark, mais sans pouvoir renoncer à ces lectures capricieuses qui avaient fait le charme de sa jeunesse. De là vient qu’il ne put se borner à être seulement historien ; il écrivit

  1. Der Fremde.
  2. Scriptores rerum danicarum medii ævi.