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toute la promenade des dandies anglais ; il ne fut content que lorsqu’il se fut enfermé dans l’île de Caprée. Il ne se laissa plus aborder par personne ; ses lettres lui arrivaient par Séjan, tout puissant par son absence. Le sénat lui demandait en vain le bonheur de le voir. Une seule fois Tibère daigna venir habiter quelques jours la côte de Campanie, et le rivage fut couvert de sénateurs, de chevaliers, qui, tremblant devant Séjan, et espérant mieux du maître que du serviteur, passaient les nuits sur le rivage pour attendre le moment de parler au prince, faisant la cour au portier de Tibère, jusqu’à ce que, sans les avoir vus, il les renvoyât à Rome. Il aimait à être loin les jours qui devaient décider de ses projets.

Ce fut de Caprée, où il semblait comme le prisonnier de Séjan, qu’arriva une lettre vague, obscure, perfidement équivoque comme les siennes, dans laquelle il accusait Agrippine d’orgueil, Néron d’impudicité. On avait alors, et nous tâcherons d’expliquer pourquoi, tellement peur les uns des autres, que le sénat trembla que la lettre ne fût un piège tendu contre lui plutôt que contre la famille de Germanicus. Dans l’avis d’un homme qui passait pour avoir part à la confiance de Tibère, il crut entrevoir la volonté du prince, et décida qu’il attendrait. Cependant le peuple entourait le sénat, portait en triomphe les images de Néron et d’Agrippine, criait que la lettre était fausse ; car le peuple, lui aussi, avait peur de Tibère, et, loin de vouloir l’attaquer en face, criait : Vive César ! La cour de Caprée répondit par des reproches menaçans. Le sénat dédaignait donc les plaintes de l’empereur, le peuple était en révolte, les lois violées. Le sénat trembla de sa faute, et se tint prêt à obéir à tout. Néron fut exilé dans une île presque déserte, Drusus enfermé dans les souterrains du palais. Avant peu d’années, Néron était mort dans l’île Pontia. Tibère faisait raconter devant le sénat comment Drusus, privé d’alimens dans sa prison, avait vécu neuf jours de la bourre de son matelas, et était mort en vouant à l’exécration la mémoire de son bourreau ; comment enfin Agrippine, également reléguée dans une île, avait fini par s’y donner la mort.

Mais c’est ici qu’il faut voir à l’œuvre l’exilé de Caprée : il n’avait, pour ainsi dire, plus de successeur à craindre, tant était grand le vide qu’il avait fait dans sa propre famille, ou plutôt le successeur qu’il devait craindre, ce n’était plus un César : c’était l’homme sous lequel il avait pris plaisir à disparaître ; c’était l’instrument qui lui avait servi jusque-là à écraser ce qui lui faisait ombrage. Cet instrument, dès qu’il devenait inutile, devenait dangereux. Séjan n’était-il