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chons aujourd’hui à ce mot, n’enfantât aussi son genre d’héroïsme à lui. Hérodote raconte que lorsque Xercès vaincu en Grèce s’enfuit dans son royaume, une tempête s’éleva pendant qu’il traversait la mer ; le pilote déclara que le navire était trop chargé, et que la vie du roi était en péril. Le pont du navire était en effet couvert des grands de la Perse, qui avaient suivi le roi. À cette déclaration, ils vinrent tous les uns après les autres mettre le front à terre au pied de Xercès et se précipitèrent dans la mer. Il y a dans la simplicité de ce dévouement, quelque absurde qu’il soit, un certain grandiose qui étonne et qui vaut bien (en supposant la vérité des deux histoires) Curtius et son fameux cheval se précipitant dans l’abîme.

Dans le sein et comme à l’ombre de cet égoïsme national croissaient, si je puis ainsi dire, une foule d’égoïsmes partiels de tribu, de caste, de corporation. Sur cet ensemble vivait le monde. L’égoïsme national, quoique fondé sur un esprit d’hostilité et de guerre, sur la haine de l’étranger (hostis veut dire à la fois étranger et ennemi), resserrait les liens de chaque société, la faisait plus une, la concentrait davantage par l’exclusion de ce qui était au dehors, et par les idées superstitieuses qui en étaient le principe ; la ralliait plus complètement dans les républiques à l’aristocratie, dans les monarchies au souverain, qui était le nœud et, comme nous l’avons assez dit, la divinité de ce système. À son tour, l’égoïsme d’association ou de tribu, et, ce qui est plus important encore, l’égoïsme de famille formait entre les diverses portions de la société des liens durs, sanguinaires, mais puissans et se rattachant tous à l’unité politique. Ce n’est pas ici le lieu de dire combien était imparfait cet ordre social, fondé en dernier résultat sur la division et la haine nationale, par conséquent sur la guerre, l’extermination et le sang ; combien funeste à l’intérieur même des sociétés était ce système, qui, ne reconnaissant rien de sacré dans la personne de l’homme, n’admettait point de droit ni de raison que le sujet pût faire valoir contre la république, et immolait, sans égard pour la justice, l’homme à la nation, à la tribu, à la famille : tout ce que je veux dire, c’est que telle était la base de tout ordre social avant le christianisme, et qu’il ne pouvait y en avoir d’autre.

La conquête romaine renversa cette base ; les égoïsmes nationaux, si je puis ainsi dire, furent tous fondus dans le grand égoïsme romain ; ils se réduisirent tout au plus à la proportion de quelque gloriole de petite ville. En même temps, Rome, qui, plus que toute autre cité, avait exalté en elle-même cet égoïsme national, Rome