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LES CÉSARS.

épouser à sa fille le fils de Séjan, il écrivait à Tibère : « Ce n’est pas de moi-même, c’est par ton conseil que j’ai songé à m’allier à Séjan. J’ai pu me tromper comme toi, et la même erreur ne doit pas être irréprochable chez l’un, funeste à l’autre. Ma fidélité est entière ; si l’on ne m’attaque pas, il en sera toujours de même. Mais je recevrai un successeur comme je recevrais une menace de mort. Faisons plutôt un traité ; sois le maître de tout le reste, laisse-moi ma province. » Gétulicus, le général accusé, resta en faveur. Tibère, vieux et détesté, n’osait rien hors de la portée de ses bourreaux ; et puis, ajoute Tacite avec une grande vérité, il sentait que son pouvoir reposait sur le préjugé plutôt que sur une force réelle. Et cela est tout simple : Tibère avait constitué son gouvernement sur l’isolement et la peur. Conduit dans cette politique d’abord par l’amour du pouvoir, le sentiment de la haine qui le poursuivait, la crainte pour sa propre vie la lui avait fait pousser jusqu’aux derniers excès. Il se sentait menacé de toutes parts ; il ne s’agissait plus là de politique, ni de gouvernement ; c’était une lutte entre lui et les meurtriers qu’il entrevoyait partout. Son avantage n’était pas, comme l’est d’ordinaire celui des autres souverains, la force et la régularité de l’administration, ou la puissance et l’attachement de l’armée, ou l’adhésion traditionnelle des grands corps de l’état, ou le pouvoir habilement partagé avec les masses et mesuré à leur avidité de manière à la contenter ; non, son avantage et sa force étaient tout simplement d’avoir plus de moyens de mort que ses adversaires, de gagner de vitesse ceux qui voulaient le tuer, d’avoir auprès de lui les prétoriens et les licteurs, et de compter sur l’obligeance et l’empressement du bourreau.

Voilà où en était venue la majesté du nom de César, et à quelle gloire était arrivée cette dynastie, augmentée par les adoptions et les alliances, et qui allait périssant tour à tour dans quelque île déserte, ou dans les culs de basse fosse du palais. Le souvenir d’Auguste et de César, la vénération religieuse pour eux, n’entraient plus pour rien dans les moyens de force de ce gouvernement simplifié. Le premier aventurier qui eût eu l’adresse de saisir la place de Tibère à côté du licteur, et, pour première parole, aurait dit à celui-ci de tuer son prédécesseur, était sûr d’être césar aussi légitimement, aussi divinement, ou aussi peu sûrement que Tibère.

Dans une telle situation, il est aisé de penser que celui qui, pareil à Gétulicus, était sans crainte au milieu de la terreur générale, aimé et soutenu au milieu de l’isolement universel, n’était pas un homme à provoquer, mais à craindre. Il y a une sorte de consolation à voir