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mas Picton, un des meilleurs officiers de l’armée anglaise dans la Péninsule. Un jeune commissaire, récemment arrivé d’Angleterre avec une très haute opinion de lui-même et de sa place, manque un jour de livrer à la division de Picton ses rations à l’époque convenue. « Voyez-vous cet arbre, lui dit le vieux Picton en colère avec sa brusquerie galloise ; eh bien ! si je n’ai pas les rations à midi, je vous y ferai pendre à midi et demi. » Le commissaire indigné se rend aussitôt auprès du général en chef, qu’il se flatte de trouver fort accessible à une accusation portée contre Picton, et d’un ton de dignité offensée, lui dit la menace qu’on vient de lui faire. « Est-il possible ? lui répond Wellington avec son laconisme ordinaire. Alors je vous conseille de ne pas lui faire attendre ses rations, car il est homme à vous tenir parole. » Et puis il lui tourne le dos.

Quelquefois Wellington mécontentait tous ses officiers par la dureté de ses reproches et la froideur de ses éloges. C’est ce qui lui arriva, par exemple, après la retraite de Burgos, en 1812. Il publia alors un ordre du jour, dans lequel tous les officiers, sans distinction, étaient rudement réprimandés pour les désordres qui avaient signalé cette retraite. « Sous ce rapport, disait-il, la discipline de l’armée a plus perdu, dans la dernière campagne, que dans aucune autre à laquelle j’aie pris part ou dont j’aie lu le récit. » Tout le monde fut indigné de la sévérité de ces reproches qui n’épargnaient personne, et on n’était pas loin de dire tout haut, dans les rangs de l’armée, que le général en chef, irrité d’avoir échoué devant la misérable citadelle de Burgos, défendue par le général Dubreton avec quelques centaines d’hommes, avait exhalé sa colère en accusant injustement ses troupes. Et cependant tel était son pouvoir sur ses officiers, qu’ils s’appliquèrent tous, en murmurant il est vrai, à réparer les fautes qu’il avait signalées. Aussi l’année suivante, l’armée anglo-portugaise, qu’il conduisit d’Oporto à Bordeaux, était-elle admirable de discipline et dans la plus brillante tenue qui se puisse imaginer. C’est au point que Wellington, si avare de ses éloges, a dit d’elle : « J’ai toujours pensé qu’avec une pareille armée je serais allé où j’aurais voulu. »

L’officier anglais est en général moins susceptible d’enthousiasme que le soldat ou le marin ; ceux-là, on les passionne facilement, et nous avons eu, dans nos guerres de la révolution française, un grand homme qui savait, par instinct de génie, tirer un immense parti de cette ressource. C’est Nelson. Wellington avait peut-être plus de talent, de fermeté, de sagacité que lui ; mais Nelson était un vrai héros de