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SOCIALISTES MODERNES.

deux existences, l’une dans le domaine de sa fiction, l’autre dans le domaine de la réalité. Enfant et adulte, deux faits le frappèrent : l’un, à l’âge de cinq ans, fut une réprimande subie parce qu’il avait, dans le magasin de son père, marchand de draps à Besançon, contrarié un mensonge de boutique par la révélation naïve de la vérité ; l’autre, à dix-neuf ans, fut une submersion volontaire de grains, à laquelle il dut assister à Marseille, en sa qualité de commis d’une maison de commerce. Ces deux faits, et il se plaisait à le rappeler souvent, lui ouvrirent les yeux sur la nature des relations humaines : d’une part il vit le mensonge imposé à l’enfance et dominant dans les transactions, de l’autre il vit le monopole fondant ses bénéfices sur l’anéantissement des produits. Double fausseté, double perfidie. Dès-lors il pressentit qu’un ordre nouveau devrait tôt ou tard se fonder sur la sincérité dans les rapports et l’harmonie dans les intérêts.

Ainsi prévenu dès ses premiers pas dans le monde, son rôle fut celui de l’observation et de l’isolement. Une répugnance instinctive, une défiance calculée ne lui permirent pas de s’engager tellement dans les habitudes sociales, qu’elles devinssent pour lui, comme pour les autres, une seconde nature ; il ne s’y livra pas à ce point de perdre la force de les juger et l’énergie de les combattre. Fourier se fit alors une méthode qui fut celle de sa vie, la loi de sa pensée, la clé de sa découverte ; il partit pour examiner ce qui se passait autour de lui et en dehors de lui, du doute absolu et de l’écart absolu ; ce sont ses termes. Redresseur soupçonneux, il put dès-lors envisager les choses comme elles étaient, et non comme elles apparaissent à ceux qui s’abandonnent mollement, sans retour sur eux-mêmes, au courant des idées reçues. Aussi la civilisation actuelle ne se révéla-t-elle à lui que par ses non-sens et par ses désastres. Il vit l’adultère installé à l’ombre du mariage, la corruption à l’ombre de la politique, la médiocrité à l’ombre de l’intrigue ; il vit l’humanité usant ses forces en luttes vaines, s’agitant au milieu de destinées confuses, s’énervant dans des chocs éternels et sans résultats ; il vit tous nos travers, toutes nos douleurs, toutes nos misères, nos pauvres ambitions, nos fausses joies, et notre rire mouillé de larmes. Bien convaincu de l’énormité du mal, il saisit alors deux flambeaux, l’un la douleur physique ou morale comme signe d’erreur, l’autre la satisfaction, le plaisir, comme signe de vérité ; puis, ainsi armé, il chercha le mieux, et, dans sa pensée du moins, il le trouva.

Les angoisses de l’humanité n’ont qu’une cause sérieuse, selon Fourier, réelle, enracinée, profonde ; c’est de ne pas comprendre les