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tition, auprès du mécanisme sociétaire, où tout est réglé, distribué, prévu ? Le saint-simonisme n’en avait fait qu’un agent de monopole et de main morte ; Fourier en fait du moins un instrument de liberté. C’est là, du reste, un contraste qui se reproduit dans les détails des deux réformes et qui résulte du point de vue particulier de chaque inventeur : toujours grand seigneur, même en bouleversant le monde, Saint-Simon était dominé par des idées d’autorité et de hiérarchie ; homme du peuple, Fourier obéissait à un besoin d’émancipation et d’affranchissement. Ensuite Fourier n’a jamais attaqué de haute lutte des institutions que les hommes ont depuis long-temps appris à respecter, la sainteté du mariage, la propriété, la paternité, l’héritage. Ainsi Fourier a pour lui la date des idées, l’harmonie plus complète dans la création, la supériorité dans les vues : on le voit, tout l’avantage lui reste.

Entendons-nous dire pour cela que la découverte de Fourier soit infaillible et inattaquable ? bien s’en faut. Seulement il est plus facile de la nier que de la discuter. Elle transporte la critique sur un terrain où les points d’appui lui manquent ; elle argumente dans l’inconnu. Objecterons-nous, par exemple, que l’émancipation des passions, idée très peu neuve d’ailleurs en théorie, peut déterminer des résultats contraires à ceux que Fourier en attend ; que l’état sauvage, entre autres, celui où les instincts sont le moins refrénés, n’est pas à beaucoup près un état social que l’on puisse présenter comme type et comme modèle ? À cela, Fourier nous répondra que son système emporte non-seulement le libre essor des passions, mais aussi leur satisfaction plénière, ce qui est loin d’exister dans l’état sauvage, condition de misère, de privation et d’abrutissement. Objecterons-nous encore que, pour certaines passions sensuelles, l’expérience d’une liberté sans frein est faite depuis long-temps, et que ces passions, la gourmandise par exemple, vont toujours au-delà des satisfactions permises et raisonnables ? Fourier nous répondra que les passions, dans leur incohérence et leur servitude actuelles, ont un jeu faussé qui disparaîtra dès que l’équilibre et l’harmonie régneront parmi elles, et que, dans l’ordre sociétaire, il ne restera de la gourmandise, invoquée comme obstacle, que ce qui sera juste et nécessaire pour l’amélioration des produits gastronomiques. Si nous persistons en demandant où pourra être l’utilité de la paresse, il nous sera répliqué que la paresse, fille du travail répugnant, n’est pas une passion radicale, mais seulement un vice de notre civilisation, vice annihilé dans le travail parcellaire, organisé par courtes séances.