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ERNEST MALTRAVERS.

Lumley Ferrers, l’ami et le confident d’Ernest Maltravers, résume l’égoïste, le parasite et le traître de mélodrame ; car je ne puis consentir à nommer d’un autre nom les ignobles perfidies auxquelles il descend. Un tel personnage, j’en conviens, simplifie singulièrement le mécanisme du récit, mais il a le défaut très grave d’être à la fois très vulgaire et très invraisemblable. C’est une conception avec laquelle le théâtre des boulevarts nous a familiarisé depuis long-temps, mais dont le type est bien difficile à rencontrer. L’égoïsme de Lumley Ferrers est fertile en lieux communs ; Lumley ne se contente pas de rapporter tout à lui-même et de concentrer dans son seul bien-être toutes les forces de sa pensée ; il aime à professer la sécheresse du cœur, à railler toutes les croyances, à tourner en ridicule les plus généreux, les plus nobles dévouemens. En toute occasion, sans nécessité, sans que personne l’interroge et l’excite à l’indiscrétion, il fait gloire de douter de tout, ou plutôt de nier tout ce qui n’est pas le bien-être matériel, et de laisser aux femmes et aux enfans, comme un jouet digne de leur faiblesse, tout ce qui s’appelle vertu, confiance, abnégation. Je concevrais très bien les révélations auxquelles Lumley s’abandonne, s’il était sans témoins, s’il était seul en scène. Malgré mon amour sincère pour la vraisemblance et le naturel, je lui pardonnerais, étant donnée la forme dramatique, de nous expliquer les principaux traits de son caractère dans un rapide monologue ; car dans ce cas il ne ferait que penser tout haut. Mais je ne puis comprendre qu’en présence d’Ernest Maltravers, qui a toutes les croyances, toutes les illusions d’une ame adolescente, il se livre si indiscrètement et prenne plaisir à montrer toute la misère, toute la perversité de sa nature. Puisque M. Bulwer avait besoin, pour la conduite de son livre, d’un personnage égoïste, son devoir était d’établir ce caractère par des actions et non par des paroles. Il s’agissait de mettre en pratique les principes qu’il lui prêtait, et non de les formuler en aphorismes verbeux ; car, par cela même qu’il s’explique et s’interprète à tout propos, Lumley Ferrers devient impossible. À moins d’attribuer à Ernest Maltravers une crédulité enfantine, nous ne concevons pas que le futur poète continue à garder comme compagnon de voyage un homme qui se vante de ramener tout à lui seul et de ne prendre intérêt à personne. Des caractères tels que celui de Lumley, une fois connus, se tolèrent par nécessité, mais ne permettent jamais les libres épanchemens d’une amitié intime. Or, M. Bulwer place précisément Ernest Maltravers et Lumley Ferrers dans la situation la plus invraisemblable, car il les soumet à l’intimité de voyage.