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cupent le tiers de son livre ; mais ces digressions, loin de se rattacher au caractère des personnages mis en scène, se réduisent à une plainte perpétuelle. M. Bulwer, dont la célébrité pourra paraître fort exagérée, non-seulement à la médisante Angleterre, à la France légère et frivole, mais aussi, je le crains, à l’Allemagne savante, à ce peuple de critiques et de penseurs ; M. Bulwer, que les revues de la Grande-Bretagne nous donnent pour le successeur de Walter Scott, et dont toutes les œuvres réunies ne valent pas un chapitre d’Ivanhoe, parle de la vie littéraire comme on parlerait du bagne, du pilori ou de l’enfer. À l’entendre, le poète, dès qu’il devient célèbre, est calomnié chaque jour par les salons et les journaux ; les murs de sa maison tombent devant le regard insultant de la haine et de l’envie ; sa vie privée est livrée aux commentaires les plus injurieux ; il ne peut faire un pas, changer de cravate ou de coiffure, de montre ou de gilet, sans qu’aussitôt la presse ne travestisse en coupables intentions les actions les plus innocentes. La gloire est un Calvaire et le poète est crucifié. En vérité, si M. Bulwer n’était, par sa profession de romancier, habitué à confondre l’invention et la réalité, nous serions saisi de compassion pour les tortures de la vie littéraire d’outre-Manche. Mais il est probable que la gloire est à Londres, comme à Paris, une croix très douce à porter. L’orgueil est condamné, à Londres comme à Paris, à de cruelles tortures, et c’est là sans doute ce que M. Bulwer appelle le Calvaire poétique. Partout, à l’heure où nous vivons, les flatteries exagérées de la presse ont si monstrueusement développé l’orgueil des hommes qui tentent la gloire en publiant leurs pensées, qu’un éloge accompagné de restrictions passe volontiers pour une calomnie. Relever un barbarisme, calomnie ! blâmer la vulgarité des incidens, calomnie ! La critique n’a qu’un moyen de prouver sa loyauté, sa probité, en un mot de mériter l’estime et la sympathie du poète, c’est de placer hardiment chacune de ses œuvres entre Homère et Dante, Shakespeare et Gœthe, et encore serait-il nécessaire de le sonder prudemment avant de commencer aucun parallèle, car au point où est aujourd’hui parvenue la délicatesse de la nature poétique, elle pourrait facilement s’affliger d’une maladroite comparaison. Donner de l’Homère à celui qui préfère Milton, du Shakespeare à celui qui préfère Sophocle, c’est lui manquer de respect, c’est ne pas le comprendre, c’est peut-être le calomnier.

Le style d’Ernest Maltravers est facile, abondant, et parfois même se distingue par une certaine élégance ; mais il manque à peu près