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DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

ment chrétien à une hauteur où nul ne saurait le suivre ? Quoi, vraiment, c’est là Marie ! Mais, dites-moi, je vous en supplie, quels sont donc les profanes qui ont envahi tous nos sanctuaires, et qui, consommant le sacrilége sous la forme de la dérision et du ridicule, pour mieux flétrir la vieille religion de la France, ont intronisé le matériel, le grotesque et l’impur, sur les autels de l’Esprit saint, des martyrs et de la Vierge ?

Et que l’on ne croie point que ces profanateurs, quels qu’ils soient, ont borné leurs envahissemens aux églises des grandes villes. Nous l’avons déjà dit, il n’y a point de paroisse de campagne où ils n’aient pénétré, et où ils n’aient tout souillé. Il n’est point d’église de village où, après avoir détruit les saintes images d’autrefois, défoncé ou bouché les vestiges de l’architecture sacrée, badigeonné le temple tout entier, ils n’aient exposé aux regards d’une foule désorientée une masse d’images qui ne sauraient être qu’un objet de profonde ignorance pour les simples, de mépris pour les incrédules, de scandale pour les fidèles instruits. Trop heureuse encore la pauvre paroisse, si dans la ferveur d’un zèle plus funeste mille fois que celui des iconoclastes, on n’a pas fait disparaître la vieille madone de bois brun ou de cire, habillée de robes empesées en mousseline rose ou blanche, avec une couronne de fer-blanc sur la tête, mais que le peuple préfère avec raison, parce que, malgré la simplicité grossière de l’image, il n’y a là du moins aucune insulte à la morale ni au sentiment chrétien. On sait que dernièrement le curé de Notre-Dame-de-Cléry ayant voulu enlever la madone séculaire, qui se vénère à ce lieu de pèlerinage, pour la remplacer par quelque chose de plus frais, le peuple s’est révolté contre cette exécution, et il s’en est suivi un procès correctionnel où l’on a vu l’étrange spectacle d’une population qualifiée d’ignorante et de fanatique, obligée de défendre les vieux objets de son amour et de son culte contre le goût moderne de son pasteur.

C’est que, dans ce système de profanation méthodique, tout se tient avec une impitoyable logique ; le laid a tout envahi ; il a souillé jusqu’aux derniers recoins où pouvait encore se cacher le symbolisme catholique. Il règne partout en maître, depuis les énormes croûtes qui viennent chaque année, après l’exposition, déshonorer les murs de nos églises, masquer et défigurer leurs lignes architecturales[1], jusqu’aux petites images que l’on distribue aux prêtres, pour en garnir leurs bréviaires modernisés aussi comme tout le reste, jusqu’à ce prétendu bonnet carré dont on les coiffe quand ils montent en chaire ou conduisent un mort à sa dernière demeure, espèce d’éteignoir dont je ne sais quelle liberté de l’église gallicane semble réserver le privilége exclusif au clergé français[2].

  1. Qu’on entre pour un instant seulement à Saint-Germain-des-Prés ou à Saint-Étienne-du-Mont, et l’on verra quel genre de services la peinture moderne sait rendre à l’architecture chrétienne.
  2. À Rome, et partout ailleurs dans le monde catholique, les prêtres ont pour coiffure un véritable bonnet carré à quatre pans, d’une forme à la fois digne et gracieuse, absolument semblable, sauf la couleur, à la barrette des cardinaux. Il en était de même en France avant