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DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

Mais grace pour leur ombre ! ils avaient l’excuse de s’être laissé entraîner par le torrent qui a entraîné la société tout entière depuis les soirées platoniciennes des Médicis, jusqu’aux courses de char ordonnées par la convention au Champ-de-Mars. Eussent-ils voulu d’ailleurs n’employer que des artistes chrétiens, où les auraient-ils trouvés au milieu de la désertion générale ? Ainsi donc indulgence pour le passé. Le clergé y a tous les droits. Mais il n’en sera peut-être pas de même pour l’avenir. Déjà l’on commence à s’étonner de ce que si peu de ses membres ont jugé digne de leur attention et de leur dévouement, ce que les indifférens eux-mêmes appellent l’art chrétien. On s’étonne à bon droit de voir que, si cet art, qui constitue une des gloires les plus éclatantes du catholicisme, est reconnu, est apprécié aujourd’hui, c’est grâce aux efforts de savans laïcs, protestans, étrangers, d’hommes presque tous imbus de la funeste théorie de l’art pour l’art, tandis que le clergé et les catholiques français s’en occupent à peine[1]. On s’étonne que toutes les fatigues et toute la gloire de cette grande œuvre soient livrées sans partage à des écrivains tels que MM. De Caumont, de Laborde, Magnin, Mérimée, Vitet, Didron, dont les travaux, du reste, si savans et si méritoires, ne portent pas la moindre trace d’esprit religieux. On s’en étonne, disons-nous ; mais, après tout, il n’y a là qu’une conséquence toute naturelle d’un fait encore bien autrement étonnant : c’est qu’il n’y a pas peut-être cinq séminaires en France, sur quatre-vingts, où l’on enseigne à la jeunesse ecclésiastique l’histoire de l’église ! Chose merveilleuse et déplorable à la fois, l’histoire de l’église, cette série d’évènemens et d’individus gigantesques, qui préoccupe aujourd’hui tant d’esprits complètement étrangers, sinon hostiles, aux convictions religieuses, cette manifestation continuelle d’une force supérieure à celle de l’homme, semble n’être indifférente qu’au clergé catholique. Veut-on acquérir quelques notions justes et impartiales sur les grands hommes et les grandes époques de cette histoire ? veut-on savoir ce qu’étaient les croisades, saint Grégoire VII, Innocent III, saint Louis, saint Thomas, Sixte-Quint, il faut avoir recours à des livres traduits des protestans allemands, ou aux écrits de M. Michelet, M. Villemain et M. Guizot. C’est en vain que vous vous adresseriez au clergé français, successeur et représentant de ces noms glorieux parmi nous ; vous le trouverez occupé à réimprimer les mensonges gallicans de Fleury ou la Dévotion réconciliée avec l’esprit, par un prélat du dernier siècle.

Comment se ferait-il donc que, dépourvu de connaissances étendues et approfondies sur les évènemens et les personnages des temps qui ont enfanté l’art chrétien, le clergé pût apprécier les produits de cet art, qui tient par les liens les plus intimes à ce que l’histoire a de plus grand et de plus impor-

  1. Nous devons cependant faire une exception en faveur de M. Gilbert, qui a publié des descriptions des cathédrales de Paris, Chartres, Amiens, Reims, etc. ; de M. l’abbé Pavie, auteur de quelques excellentes monographies sur les églises de Lyon ; de M. l’abbé Tron, qui vient de mettre au jour une bonne description de Saint-Maclou de Pontoise.