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Bénies soient donc les montagnes ! elles seules valent au promeneur blasé sur les raffinemens de notre civilisation, de trouver, à trois journées de poste de Paris, du vieux qui est redevenu neuf à force de vieillesse. C’est quelque chose d’inoui qu’à trois pas de la France, où, il y a quelques mois, le roi, traqué dans son palais, était, toutes les fois qu’il mettait le pied dehors, le point de mire des balles des assassins, à deux pas de l’Espagne, où l’on exhibait hier, dans un café de Madrid, les membres sanglans de Quésada, il existe encore un coin de terre où l’esprit de renversement et d’anarchie n’a jamais fait la moindre apparition. Pendant que, des quatre points cardinaux, souffle le vent des tempêtes, pendant qu’il ne reste plus dans l’univers une seule dynastie, un seul empire, une seule société, dont le philosophe observateur puisse répondre pour un avenir de vingt ans, c’est une grande merveille qu’un état, si petit soit-il, où règnent le calme, la sérénité, la sécurité, et qui, après mille ans de durée, semble posséder la stabilité la plus parfaite. Entre la constitution de 1812 et le programme de l’Hôtel-de-Ville, c’est bien pittoresque, n’est-ce pas ? qu’une république entourée d’institutions patriciennes. Au milieu de ce dédain pour les hommes et les choses du passé, dont nous nous laissons tous dominer dans ce temps de combinaisons éphémères, c’est bien romantique, un pays où la vieillesse est profondément respectée ! Puis, convenez que nos ombrageux républicains de l’école moderne nous avaient peu habitués à supposer que la bienveillance dans les cœurs comme dans les paroles, l’indulgence et la tolérance pratique pour autrui fussent des attributs compatibles avec la république. Avouez que l’esprit de lutte et de chicane semble tellement inhérent à la nature humaine, qu’on s’exposerait à se faire rire au nez, en Angleterre comme en France, à Saint-Pétersbourg comme à Vienne et à Berlin, si l’on soutenait qu’il existe un pays où les procès de famille, relativement à la succession paternelle, sont totalement inconnus[1]. — Vous voulez parler, répondrait-on, des îles Pelew, où il n’y a pas de propriété, ou plutôt du rocher de Juan Fernandez, qui n’est habité par personne. Eh bien ! cette bienveillance simple et

  1. Légalement, l’héritier ou l’héritière a, dans l’Andorre, le tiers du bien liquidé. Le reste se divise en parts égales, dont l’héritier a aussi la sienne. Les légitimaires qui ne se marient pas ne quittent jamais la maison paternelle, et depuis l’indépendance de l’Andorre jusqu’à ce jour on ne connaît que deux légitimaires qui aient demandé leur portion de patrimoine pour en jouir à part. En général, lorsque un légitimaire, garçon ou fille, se marie et quitte la maison, le frère aîné lui donne, s’il le faut, plus que sa portion. Le frère aîné ou l’héritier remplit toujours, dans ces circonstances, les devoirs d’un père à l’égard de ses frères et sœurs.